Le combat du jour allait débuter et mon ami Arcania ne semblait absolument pas pressé d'en découdre. Posé sur l'un des bancs en pierre vétuste, disposé de manière circulaire pour que nous puissions nous regarder et nous motiver, il attendait les bras ballant entre ses jambes.  Son regard, toujours aussi perçant, observait le sol et se perdait - dans ce que je supposais - dans des songes bien nébuleux et obscurs. Et, alors qu'on entendait le brouhaha de nos vils fanatiques, de la compagnie arriva dans notre salle d'attente. Notre gentilhomme de chauve au bidon bien rebondi et un singulier personnage. Mes yeux se levèrent vers eux, sans grande excitation tout comme Arcania, extirpé de ses rêveries. Celui-ci dressa son dos bien droit et jeta un coup d’œil au chauve puis au fameux Tesserarius. D'ailleurs, je notai une petite insistance à l'égard de ce sous-officier de sa part.

Le Crépusculaire avait-il vraiment envie de revoir cette armure et ce heaume, symbole d'une période bien mouvementée de sa vie ? Je ne savais pas mais il resta le regard fixe vers lui tandis que le petit bonhomme se dressa au milieu de nous tous. Certain grommelèrent quelques impolitesses et d'autres attendirent ce qu'ils devaient faire devant nos invités. Finalement, le maitre d'hôte nous annonça que ce fameux personnage allait regarder nos combats et qu'on devait nous démener pour montrer notre puissance et qu'on allait avoir l'occasion de se couvrir de gloire. Je ricanais discrètement tout en adressant à mon ami aux cheveux blanchâtres quelques fourbes paroles.

- Penses-tu qu'ils vont nous payer avec de l'or ? Des putes ? Ou juste avec des salutations de leurs heaumes bien plumés, mon cher ?

- Je ne sais pas. C'est bien étrange d'avoir ce genre de visite. Surtout venir nous voir en personne, dans notre pièce bien pourrie et empesant la sueur, le sang et l'humidité.

Arquant un sourcil, je fus surpris de le voir aussi bien parlé. Il était bien dubitatif alors que moi, je devais l'avouer, j'étais plutôt rêveur.  Tandis que je caressais ma robuste massue, posée à côté de moi sur le banc, je vis Arcania se lever, confiant et entreprenant, pour aller leur faire face. Ce con n'avait pas non plus omis de prendre son épée, tenu d'une main ferme et gigotant doucement, de l'avant vers l'arrière, à ses cotés, comme un aigle tournant dans le ciel, dans l'attente d'une attaque immédiate. Mon visage se décomposait en même temps que ce con osait adresser la parole au Tesserarius.

- Vous êtes bien aimable mais vous venez juste pour nous regarder ? Pourquoi ne pas directement aller dans les gradins, comme les sauvages qui sautillent d'impatience au-dessus ?

Mes mains se figèrent devant mon visage. Les autres gladiateurs lâchèrent des rires moqueurs, sans réellement se rendre compte que des personnages comme ceux-là n'étaient pas du genre à comprendre les moqueries. Enfin, je n'attendais plus rien de ces abrutis, achetés ou récupérés sur des champs de batailles, aux crânes sans doute tant fracassés qu'ils ne se reconnaissaient pas dans des miroirs. Je me voyais déjà entouré de militaires, pointant leurs lames pour nous faire comprendre qu'ils ne fallait pas jouer avec le feu. Si on s'en sortait sans mal, croyez-moi bien que ce fieffé coquin d'Arcania allait prendre pour son grade, à me faire trembler de nervosité.

Sans trop de surprise, enfin j'étais légèrement rassuré, le Tesserarius répondit à la provocation de mon ami. Il prévoyait le fouet pour cet énergumène provocant, s'il survivait aux jeux. A cela, je souris doucement, ayant entièrement confiance en ses talents. Mais je ne devais guère oublié ma personne. Alors, après qu'ils eut, le militaire et le chauve, monté les gradins, je m'empressais à aller parler à Arcania.

- T'es bien gentil, Arcania mais tu mets dans l'embarras tout le monde là. Tu n'imagines pas la peur que j'ai ressenti au moment où tu t'es dressé devant lui.
- Pas besoin de s'inquiéter. Ces jeux n'ont aucuns intérêts. On survit comme d'habitude et voilà. Mais ce genre de manigance cache forcément quelque chose.
- Tu as raison, mon cher, mais tu es bien trop impétueux, ça te coûtera cher un jour.

Bien évidemment, il me toisa de son regard et partit aiguiser sa lame, pour qu'elle soit aussi tranchante que possible. De mon côté, je m'attelais à me préparer. Je vérifiais que ma tenue soit bien attachée à mon corps et fis quelques échauffements. Puis je récupérais ma hache, Parashu, pour effectuer quelques mouvements latéraux pour la forme. La foule au-dessus de nous hurlait de plus belle alors qu'une symphonie de trompettes s'élevèrent dans le ciel. Signe que nous devions nous mettre en place. Rejoignant Arcania d'un pas serein, je l'accompagnais dans le long couloir se terminant par une imposante grille.

Dans ces jeux, je dois brièvement vous l'expliquer, il y souvent des différences. On a les combats classiques, à un contre un ou par équipes. Les combats comme ceux-là sont bien évidemment des combats à morts et seuls les meilleurs restent en vie. Mais il n'y a pas que ça. Nous avons bien d'autres jeux. Pour vous en citer d'autres, il y a les combats inconnus. En fait, ce sont ceux-là qui sont les plus compliqués, on peut être seul ou en équipe. Et dans ces matchs, nous nous retrouvons à affronter des hommes ou des monstres sélectionnés par l'Elite pour les divertir.  Les combats contre les monstres requiert plus d'efforts, de techniques et de risques mais généralement, la prime qui va avec faisaient naître en nous des ardeurs les plus vives que l'on puisse connaître. Et finalement, afin de ne pas trop prolonger ces explications, nous avons les mêlées générales, où tout les gladiateurs de l'Arène se regroupent au milieu, de manière circulaire et en décousent. Pour ce mode de jeu, la mort est prédominante mais le gagnant peut laisser la vie à son adversaire. C'était en général un mode très technique où des stratégies pouvaient naître au fil des affrontements. Alliances, traîtrises, manigances, victoire.

Les grilles s'élevèrent finalement dans la férocité sonore. Nous autres gladiateurs joignirent alors le milieu de l'Arène pour se mettre en rang, devant les hauteurs impétueuses. Là où généralement on annonçait nos noms brièvement et où on nous annonçait les modalités du combat du jour. Placé à coté d'Arcania, je ne pouvais m'empêcher de penser que d'autres êtres vivants allaient encore mourir aujourd'hui par le biais de son épée et qu'ils garderaient en souvenir son regard déterminé et perçant alors que leurs paupières tomberaient lourdement. Nous distinguions le chauve sur l'estrade, prêt à faire son annonce et Arcania glissait discrètement dans mon oreille quelques mots.

- Tu n'as pas intérêt à mourir, compris ?

A ma grande surprise, les organisateurs du combat avaient lâché une horde de sanglier d'une taille anormalement grande. Leurs sabots, d'une taille de tête humaine, piétinaient les premiers surpris, dans un nuage de poussière. Ils rugissaient lourdement tandis que leurs défenses perçaient le cuir des hésitants. Tout ça sous les hurlements de la foule, toujours fidèle à elle-même. Et, tandis que l'une de ses grosses bêtes arrivait vers ma personne, je me préparais à rétorquer, ma fidèle arme prêt à rencontrer les défenses acérés.

La bête arriva, poussé par son instinct primitif et ma hache se logea contre son immense groin, s'enfonçant d'une bonne dizaine de centimètres. Je souris à la réussite de mon attaque tandis que le sanglier se reculait, se cambrant en l'air, le sang épais jaillissant de part et d'autre de sa gueule. Mais, profitant de cela, je me hâtais à lui asséner d'autres coups, ne lui laissant point le temps de reprendre son assaut. Comme un boucher virtuose, je découpais ses défenses avec précision mais sauvagerie. Elle hurla à nouveau puis je terminais par un autre coup, bien plus frontale.

La lourde arme s'enfonça dans son crane pour de bon et dans un dernier râle, la bête rendit son dernier souffle. Comme d'habitude, je me tournais vers mon ami pour faire le point sur sa situation. Et quelle surprise de voir près de lui, deux sangliers dont les membres avaient été lacérés d'innombrables coups de lame. Rien à voir avec moi, cet enfoiré s'était donné à coeur joie dans ses coups. Les bêtes se prosternaient de manière macabre devant lui. Les pattes étaient découpées, les sabots, groins, défenses. Leurs tripes s'exhibaient grossièrement à l'air sale et chaud de l'arène.

Toutefois les autres sangliers n'en restèrent pas là et donnèrent leurs deuxièmes charges. J'esquivais péniblement le mien tandis qu'Arcania, comme un lion ou une panthère, sauta sur le sien, glissant sur le flanc gauche de la bête pour lui fendre son ventre d'une bien belle manière. Le sanglier continua quelques mètres avant de tomber par terre, les viscères à nouveau à l'air libre.

Je terminais avec le mien puis remarqua que nous n'étions déjà plus beaucoup. Cinq ou six d'entre nous restaient encore debout. Les autres, morts comme des chiens, tapis sur le sol, mêlés aux sangs des bêtes les rejoignant auprès de la Mort. Ainsi, nous terminions notre première épreuve et mon souffle revenait à moi doucement. Arcania, lui, s'approcha de l'estrade à nouveau et déclara quelques mots.

- Amenez-nous d'autres épreuves. Les sangliers ne sont que du gibier bon à bouffer. Et ce, peu importe leurs tailles.

Je n'en pouvais plus de cet homme. Malgré les années à ses côtés, ses impulsions me dérangeaient autant qu'elles pouvaient, je dois le reconnaître quand même, m'amuser. Ce con avait toujours su trouvé le bon moment et le bon ton pour se faire remarquer. Sans doute était-ce grâce à ça qu'il était devenu si réputé dans l'Arène. Alors quand, d'une verve nonchalante, il balança sa pique, je ne pus que soupirer. D'autres animaux et monstres ne le changerait sans doute pas. Quand il était comme ça, poussé par les caresses langoureuses du combat, personne ne pouvait le freiner.

Ils lâchèrent alors deux énormes lions aux crinières resplendissantes et flamboyantes. Les autres gladiateurs restant, attirés par le discours d'Arcania, ne purent se rendre compte à temps des coups de griffes acérés qui déchiquetèrent leurs armures, ne laissant que des lamelles de cuirs mêlées à celles de leurs peaux tomber par terre. Aussitôt, je me mettais en garde, parant un coup de griffe du félin bien irrité. Il était dommage de lâcher de si belles bestioles, mon coeur tressaillait à chaque fois que je voyais dans leurs yeux magnifiques s'éteindre l'étincelle de leurs vies. Et là encore, je n'échapperai pas à ce moment déchirant.

Ma hache siffla dans l'air, se logeant dans l'épaule du lourd ennemi qui bondissait sur moi. Ses crocs n'arrêtèrent à quelques centimètres de mon visage et le poids de la bête me fit basculer en arrière. L'arrêtant loin de là, celle-ci réussit à me donner une bonne griffe sur mes cotes. Retirant ma hache, je fis une roulade avant de foncer sur lui, assénant un deuxième coup mortel cette fois-ci. Et, alors que j'assistais à cet énervant spectacle, Arcania lui termina avec le sien.  

Le corps lourd de la bête lui faisait face et, avec surprise, je le vis faire une caresse à la crinière ensanglanté, comme s'il accompagnait l'animal vers le paradis, le saluant pour sa bravoure et lui souhaitant bonne chance dans la mort.  Se relevant alors, il essuya sa lame une nouvelle fois et vint vers moi.

- Avianus, mon ami, pourrais-tu abandonner le combat ? Que je puisse être le seul à rester dans l'Arène ? Je veux affronter cette homme qui se prends pour un dieu, là-haut. me fit-il alors que je ne comprenais pas grand chose à ce qu'il racontait. Et il semblait comprendre mon incompréhension puisqu'il répondit aussitôt. - A ta tête, je vois que tu n'as pas entendu l'annonce pourtant bien forte. Cet enfoiré de bourge à casque s'est proposé pour un duel. Alors laisse-le moi.  

Ah, c'était donc ça. Plongeant mon regard dans le sien, je voyais bien qu'il était déterminé. Pour quelles raisons ? Je ne savais guère. Enfin, il m'avait bien raconté quelques trucs sur sa période dans l'armée mais rien de bien affriolant pour justifier une haine. Ramenant ma hache sur mon épaule, j'acquiesçais donc de la tête, affirmativement.

- Très bien, démerdes-toi avec alors. Après tout, c'est toi qui a provoqué, à toi d'assumer, mon vieil ami.  

- Je te revaudrais ça, Avianus. 

Avianus s'en était allé, pour le grand plaisir de l'homme mur et intrépide qu'était Arcania. Après les quelques bestioles féroces qu'on lui avait envoyé, il s'attendait à voir débarquer quelques monstres fantasmés - géant, ogre ou même draconides pervers et narcissiques - mais hélas, ce fut un tout autre cas qui se présenta à lui. En effet, ce fut ce cher Tesserarius qui alla sur le terrain, apaisant d'une bien étrange manière le public qui avait plus l'habitude d'être une meute de loups hurleurs. Le crépusculaire, arquant un sourcil, observa la foule avec un air stupéfait et surpris. Il suffisait d'avoir un casque et se nommer Tesserarius pour calmer les ardeurs de quiconque ? Se frottant le menton en observant se rapprocher son adversaire, il se mit à se dire que ce n'était guère une mauvaise idée et qu'il allait peut-être se renseigner sur un éventuel achat.

Arrivé face à lui, l'adversaire prestigieux se présenta humblement:

« Je suis Aulus Tullus Thrasea» tout en rajoutant une faible menace qui fit sourire le gladiateur. « «Préparez-vous à repentir votre insolence.»

Et c'est sans un mot qu'Arcania se préparait. Toutefois l'arme étrange qu'Aulus dégaina arracha un autre rictus empli de surprise à Arcania. Mais pourquoi ce genre de personnage possédait une arme courbée répondant au doux nom de cimeterre ? C'était quoi cette chose qu'il avait en face de lui ? Un mélange de toute pièces d'armures insolites ? Il sentait bien qu'il n'était pas à l'aise dans son accoutrement d'apparat et cela pourrait bien lui être utile. Mais à peine eut-il le dire de réagir qu'on l'attaqua. Un bref instant d'hésitation et il aurait vu cette lame insolite toucher ses genoux et l'immobiliser instantanément. Son épée collée à la sienne, Arcania la repoussa avec un coup de genou et sauta d'un pas en arrière.

«Et bien...on est pressé de mordre la poussière ? Quel âge as-tu ? Quinze ans pour essayer d'attaquer le vétéran que je suis de cette manière ? Tu as cru que tu combattais ton maître d'arme, mon petit ?» lui fit-il avec un ton sarcastique. Et c'est sans attendre plus longtemps qu'Arcania bondit sur lui, lame placée coté tranchant, prêt à mordre le métal de l'armure adverse.

«Je vais te montrer que ce qu'est une vraie attaque...»

D6 d'attaque: Combat à l'arme à une main (+1)