Elle ne savait plus combien de temps était passé. Elle avait cru plus d’une fois que son corps allait laisser tomber. Qu’elle ne se rendrait jamais sur la terre ferme. Ses muscles brûlaient, ses bras battaient inlassablement dans l’eau et la fatigue la tirait de plus en plus vers les profondeurs sous-marines, mais elle n’abandonnait pas. Elle continuait à nager, à se débattre contre les flots qui la malmenaient et enfin, son bras heurta un rocher. Elle s’y accrocha avec toute la force qui lui restait, s’y hissait faiblement en crachant l’eau qui envahissait ses poumons et se laissa choir sur la pierre chauffée par le soleil. Son regard se porta sur le ciel bleu et pourtant si calme. Sa tête la faisait souffrir et elle se sentait complètement à bout de force. Incapable de tenir plus longtemps, elle ferma les yeux un moment pour faire le point.
Elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait actuellement. Elle s’était débattue trop longtemps avec les flots dangereux pour prendre le temps de vérifier la direction qu’elle prenait. Et elle n’avait aucune idée de la façon dont elle était arrivée ici. Elle se souvenait du navire sur lequel elle était embarquée, puis son combat pour sa survie. Que s’était-il passé entre temps ? Le bateau s’était-il échoué ? Avait-il été attaqué ? Pourquoi était-elle seule ? Ses souvenirs étaient flous et elle n’arrivait plus à retracer les événements. Elle ne comprenait rien. Où était-elle ? Elle se releva péniblement, remarquant du même coup que sa peau avait subi coupures et ecchymoses dues à la douceur des vagues qui l’avait envoyée valser contre des rochers. Un soupir s’échappa de ses lèvres et elle porta une main à sa tête qui la faisait toujours souffrir. Ce fut à cet instant qu’elle réalisa qu’il manquait quelque chose. Le bout de ses doigts ne sentait pas le mince bijou d’argent qui décorait normalement son front. Elle sentit alors une panique nouvelle montée en elle. Elle l’avait perdu. Aucun moyen de le retrouver au milieu de la mer. Aucune chance. Ce cadeau qu’elle chérissait. Elle se mordit fort la lèvre pour s’empêcher de pleurer. Oh, et puis. Il n’y avait personne. Quel mal y avait-il à laisser couler une larme ? Elle était seule et complètement trempée. Désorientée et paniquée. Et durant quelques minutes, elle se laissa aller au désespoir d’avoir perdu ce qui lui était le plus cher.
Quelques minutes furent tout ce qu’il lui fallut pour reprendre contenance. Nessa n’était pas de ses jeunes femmes à abandonner aux premiers obstacles, mais elle avait aussi droit à ses moments de faiblesse. Chassant la tristesse de ses joues, elle obligea ses jambes à la supporter lorsqu’elle se leva. Elle attendrait les étoiles pour se repérer plus facilement, mais avant la noirceur, il lui fallait trouver un moment de sortir d’ici. Elle observa autour. Devant ses yeux s’étendait la mer. Derrière elle s’élevaient des falaises escarpées. Elle s’approcha de la pierre, y passa une main. Impossible pour elle d’escalader cela, surtout avec les maigres forces qui lui restaient. Qu’allait-elle faire maintenant ? Un soupir et elle se mit à réfléchir.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Sam 2 Fév - 19:00
- Thylesandr ! Thylesandr ! Viens voir ! Viiiite !
L'intéressé tourna à peine la tête vers la jeune sirène qui nageait vers lui à grands mouvements de nageoires. Elle était toute petite et la mer semblait jouer avec sa voix d'enfant, la faisant valser mélodieusement sur le courant de l'eau avant de la porter aux oreilles écailleuses de son grand frère. Car il s'agissait bien là d'une des nombreuses petites sœurs du triton - enfin presque... En effet, si un humain ne lui aurait pas donné plus de cinq ans, la petite en avait en vérité plus du double - mais dans tous les cas, ça restait bien trop jeune pour que la mère de Thylesandr ait pu l'enfanter. La matriarche se faisait vieille, et pondre n'était plus de son ressort... Elle disait avoir adopté cet œuf-là, que ses parents avaient été dévorés par des hydres, mais notre triton en avait vu assez pour soupçonner qu'elle ait en réalité volé la petite dans son délire mégalomane. Le clan n'était jamais assez grand pour elle.
Mais soit. Il ne se mêlait pas des affaires de sa mère. Et si elle lui apportait une sœur, alors il traiterait n'importe quelle petite sirène en tant que telle.
- Que veux-tu, Dama ? Ne vois-tu donc pas que je suis occupé ? essaya-t-il de s'en défaire en lui montrant, pour preuve, la délicate chaîne d'argent qu'il venait de dénicher, perdue là dans une crevasse sous-marine. Il préférait nettement l'or, qui se démarquait bien mieux sous l'eau, mais il n'allait pas faire la fine bouche. Des trouvailles de cette qualité étaient rares. - Non mais tu comprends paaas ! insista-t-elle du ton traînant si caractéristique aux enfants, quelle que soit leur race. Y'a une dame, elle était en train de se noyer ! La petite avait l'air si sérieux que Thylesandr ne douta pas un instant qu'elle puisse lui mentir. Il faillit lui répondre un cinglant "et alors ?" mais se rappela de justesse qu'il était censé être un bon et gentil grand frère, mature et exemplaire. Il se contenta donc d'étouffer un soupir avant de daigner la suivre. - Très bien, montre-moi.
Elle ne se le fit pas dire deux fois, et la petite Dama s'empressa de lui montrer le chemin. Ils nagèrent vite, arrivant sans mal où l'enfant avait vu l'humaine pour la dernière fois - mais elle n'y était déjà plus, et Dama de paniquer en la croyant disparue à jamais. Thylesandr voulut la rassurer, en lui affirmant qu'il arriverait sans doute à suivre la piste du sang dans l'eau, mais ce n'eut pour effet que de faire pleurer la petite sirène. Elle était bien trop jeune et trop sensible pour supporter l'idée de la mort...
- Ne t'en fais pas, elle ne doit pas être loin... Allez, viens. Sur quoi Thylesandr alla s'intéresser aux îlots rocheux qui s'élevaient hors de l'eau un peu partout - et il eut raison : l'humaine avait réussi à s'échouer sur l'un d'eux. Et, au grand bonheur de Dama, elle semblait bien vivante, et même plutôt vivace. Fidèle à sa prudence habituelle, le triton pensait déjà à rester caché et bien juger la situation avant d'intervenir (ou pas), mais c'était sans compter sur l'adorable petite qui sortit la tête au-dessus de la surface pour crier à la naufragée avec entrain, et une certaine fierté : - Madame !! Madame !! Vous inquiétez pas, mon grand frère va vous sauver ! N'eût-elle pas été sa sœur, il l'aurait tuée sur-le-champ. Par réflexe, il brisa lui aussi la surface pour la réprimander. - Dama ! Tu rentres à la maison, tout de suite ! La pauvre enfant déchanta d'un coup. - Mais... t-tu vas l'aider, n'est-ce pas ? Comment dire non à cette bouille d'ange, et à cette petite voix de souris toute mignonne ? - Oui... peut-être. Si tu obéis.
Sur quoi la petite disparut dans les profondeurs, non sans avoir au préalable salué l'humaine à grands gestes. Bon. Voilà qui avait eu le don de dédramatiser la situation, et ce fut d'un air bourru que Thylesandr jaugea la demoiselle. Par chance pour elle, il accordait trop d'importance à son honneur pour mentir à l'une de ses sœurs. Cependant, il avait l'habitude de se faire désirer.
- Qui êtes-vous, exactement ? fit-il avec une méfiance non dissimulée - à moins qu'il ne s'agisse que d'exaspération ? Difficile à dire, après un tel fiasco.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Sam 2 Fév - 22:13
Son regard se promenait sur les hautes falaises qui l’emprisonnaient près de la mer. Elle secoua la tête avec déplaisir. Elle se tourna ensuite à nouveau vers la mer. Elle observa les nombreuses roches entourant celui sur lequel elle s’était échouée, mais aucune d’elles ne la mènerait bien loin. Elle était complètement coincée. Elle ne pouvait plus nager, ses muscles endoloris ne la supporteraient pas sans un bon repos et elle n’osait pas s’allonger sur la pierre pour une sieste. Son regard s’attarda sur les vagues qui se brisaient entre les rochers et elle repoussa une mèche humide de son visage, fronçant les sourcils. Elle s’obligeait à réfléchir, à trouver une solution alors que sa tête était toujours la proie de douleur. Son souffle reprenait peu à peu un rythme normal, mais elle sentait encore l’irritation dans sa gorge à chaque inspiration qu’elle prenait. Elle remerciait les dieux de ne pas s’être noyée, mais elle souhaiterait bien un moyen de partir d’ici au plus vite aussi.
Levant la tête vers le ciel, elle plissa les yeux sous le soleil. La journée était encore jeune, elle avait du temps pour trouver une solution avant que la nuit tombe. S’orienter l’aiderait peut-être à trouver une idée finalement ? Calculant l’axe dans lequel l’astre solaire avançait, la guide déduit que l’est devait se trouver de ce côté. Elle leva le bras gauche sur lequel son subtil tatouage de rose des vents se dessinait. Orientant le bras dans la bonne direction, elle observa le décor sous un regard nouveau. Se souvenir de ses cartes. La forme de l’île, la route du soleil, la direction que prenait le navire. Elle pourrait trouver où elle se tenait. Elle connaissait l’île. Elle n’avait qu’à trouver quelles falaises en question s’élevaient actuellement dans son dos. Concentrée sur ses hypothèses et tentations d’orientation, elle oublia ses alentours. Lorsqu’une voix joyeuse s’éleva près d’elle, Nessa sursauta et tourna vivement la tête dans la direction du bruit. Qui pouvait bien se trouver au milieu de la mer ? Son regard surpris se promena rapidement à la surface de l’eau jusqu’à croiser le regard d’une jeune enfant qui la saluait de grand coup de bras. Bientôt, une deuxième tête la rejoignit. Et si les mots se rendaient très bien jusqu’à la navigatrice, celle-ci ne prit d’abord pas le temps de comprendre. La surprise s’affichait sur son visage et son regard était empli de curiosité. Ses yeux gris se baladaient de la jeune fille à l’homme, recommençant sans cesse le même manège. Que… se passait-il ?
Puis, les mots prirent sens dans son esprit. Sauvée par son grand frère ? Elle en déduisit l’homme qui se tenait près de l’enfant. Comment ? Nessa les observa. Abasourdie, elle n’avait d’abord pas réalisé ce qu’elle avait sous les yeux. Oh… OH ! Une sirène et un triton ? L’homme n’avait pas l’air ravi du rôle que lui avait imposé sa sœur, mais Nessa vit là une porte de sortie. La petite disparue, elle posa un regard brillant sur celui qui la dévisageait. Ce n’était peut-être pas son intention, mais Nessa devait le convaincre de l’aider. La détermination s’afficha dans son regard et elle s’agenouilla sur la pierre pour s’approcher du triton. Pas trop près quand même. Ne sait-on jamais. Les gens racontaient que le peuple de la mer aimait noyer les marins. Et Nessa avait assez d’une expérience de la sorte pour la journée. À son tour, elle détailla celui qui lui faisait face. La première chose qu’elle se dit fut qu’il était très beau. Elle en fut un peu étonnée, parce qu’il était vraiment, mais là vraiment beau. Elle savait qu’ils avaient tendance à être attirants, mais elle n’avait jamais observé de sirènes ou tritons d’aussi près. Elle retint une exclamation d’admiration et considéra qu’il était temps de répondre à la question. Elle ne voulait pas qu’il s’enfuît dans les profondeurs sous-marines, en la laissant se dessécher seule sur cette roche. Elle posa les bras sur ses genoux recroquevillés sous elle.
- Je suis une navigatrice un peu… désorientée. Je fais une bien piètre guide à me perdre de la sorte sur mon île. Les vagues ont été sans pitié en me jetant jusqu’ici.
Elle grimaça légèrement en posant les yeux sur ses bras blessés. Ses jambes devaient être dans le même état et elle se demandait si elle ne s’était pas cogné violemment la tête lors de son combat pour sortir de l’eau. Elle reposa ensuite son regard curieux sur le triton. Ce n’était pas le moment de poser des questions inutiles sur les capacités de sirènes et tritons, s’obligea-t-elle.
- Et… qui êtes-vous ?
Elle retourna la question, sans que la lueur curieuse quitte ses pupilles. Puis, un reflet argent l’aveugla un instant et son regard se porta vers le bijou d’argent qu’il possédait. Elle le reconnaitrait entre mille. Ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement, bonheur et soulagement. Elle s’écria d’un coup, incapable de contenir l’excitation qui la gagnait soudainement :
- Ma chaîne !
Sans le réaliser, elle tendait la main avidement vers le bijou. Rares étaient ceux ayant pu toucher cette chaîne qu’elle portait toujours au front. Elle n’avait pas conscience de l’effronterie dont elle faisait actuellement preuve, simplement heureuse de retrouver cette partie d’elle qui lui était si chère. Une main glissant sur le rocher, l’autre tendu vers le bijou, elle ne voyait ni les algues décorant le rocher, ni le danger de tomber, ni la distance qui la séparait pourtant de l’homme. Son regard était rivé sur son bien perdu.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 3 Fév - 0:09
Elle mit un temps à lui répondre; un temps dont Thylesandr profita pour l'observer tout comme elle l'observait. Elle semblait abîmée par son périple, et sa peau délicate se retrouvait percée et déchirée à de multiples endroits. Beaucoup d'égratignures, mais aussi quelques plaies plus sérieuses. Rien de bien grave à première vue - mais pas pour l’œil entraîné du triton qui se repassait déjà ses décennies de cours de médecine à l'académie de Kalispera en mémoire. La croyance populaire voulait que l'eau de mer aide à désinfecter les blessures - Thylesandr, lui, s'y connaissait mieux, et savait qu'elle était inutile. Elle pouvait même être la source de bien des problèmes, car il était rare qu'elle soit propre, surtout si près des récifs. Sans oublier que le sel devait brûler cette humaine partout où sa peau était ouverte - et le triton se prit à bénir ses écailles en imaginant la douleur.
Son regard glissa sur le visage de la demoiselle, heureusement épargné par son calvaire - il eût été si facile qu'elle se retrouve éborgnée par un débris à la dérive ! - et il crut distinguer, au fond de ses yeux, une fascination qu'il n'avait plus vue depuis longtemps. Il s'en retrouva pantois - presque ému, en vérité. Ce regard-là lui rappelait celui des jeunes femmes qu'il ensorcelait de part son chant. Un regard émerveillé, admiratif, presque hypnotisé. La sorte de regard qui nourrissait son ego et l'emplissait d'orgueil - pourtant, il avait cessé de chanter depuis bien longtemps déjà. Dorénavant, il n'attendait plus que la peur ou la haine dans les yeux des Hommes - et jamais il n'aurait cru y lire autre chose alors qu'il se dévoilait là malgré lui, sous sa forme originelle. Pourquoi celle-ci n'avait-elle pas peur ? Pourquoi ne lui hurlait-elle pas de s'en aller, et ne le suppliait-elle pas de l'épargner ?
La légère curiosité que Dama avait suscitée se changea alors en un sentiment beaucoup plus fort, plus pur : la navigatrice l'intriguait plus que de raison. Sans doute aurait-il été plus sage pour lui de s'en aller sur-le-champ, mais il resta, écoutant les explications de la naufragée. Une guide qui s'était laissé piéger par la mer. Eh bien soit, il n'y avait aucune honte à avoir là-dessus - même le plus érudit des explorateurs n'était pas plus puissant que l'Eau. Plus qu'aux dieux humains, Thylesandr croyait en l'Eau - l'Eau était mère de tout; douce et cruelle, tendre avec ses enfants mais capable des pires punitions. Et l'Eau ne ménageait jamais ceux qui désiraient la dompter.
- Vous n'avez pas à vous en vouloir. L'Eau est ainsi, fit-il d'un ton compréhensif, se voulant presque rassurant.
Une nouvelle fois, l'humaine eut le don de le surprendre et de toucher une corde sensible - en demandant non pas ce qu'il était, mais qui il était. Une simple locution qui changeait pourtant absolument tout. Bien trop souvent l'avait-on traité comme un animal, un monstre à faire fuir et à tuer avant qu'il ne vole vos filles. C'était la raison pour laquelle il craignait de révéler sa nature aux Hommes, et abhorrait l'idée même de les laisser ne serait-ce qu'apercevoir ses écailles, comme il en avait été forcé aujourd'hui.
Il n'eut pas le temps de se présenter que la demoiselle s'écriait avec bonheur, tendant dangereusement la main vers lui. Dans sa confusion, il ne comprit pas ce qu'elle disait - le geste lui avait semblé menaçant et, tel un poisson effrayé, il s'était enfoncé sous la surface d'un vif mouvement de nageoire. Un malheureux réflexe; mais un réflexe de survie, appris après maints lancers de harpon dans sa direction. Par chance, Thylesandr sut se raviser avant de s'enfuir pour de bon - si son inconscient avant réagi avant lui, son esprit savait très bien que la jeune femme n'était pas armée. Et, dans tous les cas, il lui suffirait de chanter si elle le menaçait sérieusement.
Il revint donc à la surface - cette fois, pas à l'endroit où il l'avait quittée, mais juste sous le nez de la navigatrice, qui était beaucoup trop près du bord à son goût.
- Attention, c'est dangereux, admonesta-t-il doucement en émergeant de l'eau, ne voulant pas se montrer trop brusque en apparaissant de la sorte, de peur de la surprendre. C'était pourtant bien lui qui avait eu peur, et voici qu'il voulait se la jouer grand seigneur.
Jamais il n'aurait imaginé que la chaîne d'argent qu'il avait trouvée par hasard un peu plus tôt puisse appartenir à la demoiselle. La coïncidence semblait trop grosse - mais il aurait pu y croire s'il y avait pensé, car l'Eau, quand elle faisait bien les choses, ne les faisait pas à moitié. Et si l'Eau l'avait amené à la naufragée, alors il n'était pas vraiment surprenant qu'elle puisse également l'amener à ses biens perdus. Quand Dama l'avait appelé, il avait coincé le bijou dans l'une des perles d'or qui ornaient ses mèches - ainsi, le fil d'argent se mêlait à ses propres cheveux grisâtres, et le triton n'y pensait déjà plus. Ce qui l'intéressait surtout dans l'instant présent, c'était l'état de sa rescapée.
- Je me nomme Thylesandr, mais je ne suis personne d'important, se présenta-t-il avec une humilité qu'on lui connaissait rarement. Et s'il était d'habitude plutôt vaniteux, ce n'était pas sans raison : il s'était instruit auprès des meilleurs professeurs de tout Kairos, puis de leurs successeurs. Il était versé en lettres, et savait déclamer aussi bien que les champions des Jeux (du moins était-ce son avis, car s'il était indéniable que son niveau d'études surpassait celui de la population de l'île, son talent pour les vers restait assez subjectif). Souffrez-vous ? reprit-il avec bienveillance. Rien ne semble cassé, mais les bipèdes sont fragiles. Des blessures peuvent être cachées en vous.
Il ne savait pas comment mieux expliquer le phénomène des hémorragies internes ou des poumons remplis d'eau à une non-initiée. Mais il était loin de la prendre de haut, et semblait réellement se faire du souci pour elle - la navigatrice avait réussi, de part quelques mots et un comportement adéquat, à apprivoiser la bête, qui se révélait à présent douce comme un agneau. Du moins, pour l'instant...
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Dim 3 Fév - 7:49
Durant quelques instants, le monde l’entourant s’effaça complètement. Son être entier était attiré par son bijou perdu et elle souhaitait simplement le sentir glisser entre ses doigts. Son regard se concentra uniquement sur le fil d’argent qui se mêlait aux mèches blanches du triton. Ce fut comme si la réalité se suspendait pour la jeune femme. Elle désirait serrer contre elle ce trésor qu’elle pensait perdu à jamais. Si soulagé que ses yeux se mouillèrent de joie. Si concentrée sur son objectif, elle ne réalisait pas sa réaction exagérée et rapide. Et lorsque le bijou disparut sous ses yeux, elle ne put empêcher une exclamation surprise de quitter ses lèvres. Elle parcourut du regard les vagues, ses yeux suivant la forme du triton qui s’enfonçait sous l’eau. Un air affligé la prit au visage. Qu’avait-elle fait ? La fuyait-il soudainement ? Son mouvement suspendu, c’était maintenant l’abattement qui s’affichait sur ses traits. Venait-elle de perdre sa seule chance ? Le monde se rappela alors à elle et elle prit conscience de son corps qui penchait dangereusement vers le liquide qu’elle avait quitté à peine quelques minutes auparavant. Un peu déstabilisée, elle posa sa main sur le rocher afin de retrouver son équilibre, mais sa paume glissa sur les algues mouillées. Elle dut se reprendre une deuxième fois pour ne pas tomber à l’eau. Elle n’eut pas le temps de reculer que le triton apparut de nouveau devant elle. Bien plus près d’elle cette fois. Son regard se posa automatiquement dans celui pâle de l’homme et elle se recula tranquillement pour s’asseoir sur la roche, toujours émerveillée par la beauté de celui qui lui faisait face.
Elle était soulagée de le voir réapparaitre à la surface, mais un peu surprise qu’il se trouve si près soudainement. Sa voix était rassurante aux oreilles de Nessa et elle hocha lentement la tête pour acquiescer. D’un coup, l’embarras lui caressa le visage lorsqu’elle se remémora sa façon d’agir sans réfléchir. Tomber à l’eau était la dernière chose qu’elle voulait à l’instant et elle s’était presque précipitée dans les flots marins, simplement pour récupérer son bijou. S’avancer ainsi vers un inconnu, à quoi pensait-elle ? Ce n’était pas étonnant qu’il ait réagi vivement, s’éloignant sans hésitation d’elle. Elle porta la main à son cou et détourna le regard, elle qui était pourtant si fière normalement. Elle ne voulait pas gâcher la chance de recevoir de l’aide en effrayant le triton. Elle devait penser aux convenances pour une fois. Elle voulut s’excuser, mais avant de pouvoir ouvrir la bouche, il se présenta à son tour. Nessa reporta alors son regard sur lui. Un petit sourire apparut enfin au coin de ses lèvres alors qu’elle écoutait les mots qu’il lui partageait. Elle n’était personne d’important non plus. Simplement un outil utile sur certains navires.
La question suivante rappela à Nessa le corps endolori qu’elle essayait d’oublier. Elle jeta un coup d’œil à ses blessures, mais si certaines plaies saignaient, rien ne lui semblait bien sérieux. Cependant, elle n’avait pas réellement pris le temps d’observer son corps et elle décida de le faire à l’instant. Elle examina les blessures de ses bras, les coupures de ses jambes, une plaie sur son pied droit, des ecchymoses sur son ventre, son dos la démangeait, mais impossible de voir. Ses épaules et son visage avaient été miraculeusement épargnés, mais son cou n’avait pas apprécié d’avoir été balancé à droit et à gauche sans arrêt. Sa tête non plus d’ailleurs. Elle porta une main à son front, fermant les yeux un instant. Nessa n’aimait pas se plaindre. Bien souvent, elle s’était blessée lors de ses nombreux voyages, mais elle avait appris à endurer la douleur jusqu’à trouver quelqu’un pour la soigner. Elle avait tendance à ignorer le mal et continuer son chemin sans se plaindre, et sans avouer aux autres. Il lui était cependant impossible de le nier à l’instant, et impossible pour elle de cacher ses blessures. Son chiton avait aussi eu droit à son propre périple dans la mer et s’il tenait bien en place, ses jambes étaient maintenant à l’air.
- Ce n’est pas si mal. J’ai parfois l’air fragile, mais je suis plus forte qu’on ne pense. Mais… la douleur à ma tête ne semble pas lâcher.
Elle n’aimait décidément pas avouer ses faiblesses devant les autres, mais si elle souhaitait l’aide du triton, autant être tout à fait honnête avec lui. Elle repoussa les mèches de cheveux qui lui tombaient au visage. N’ayant rien pour les attacher, elle tenta de les envoyer valser vers l’arrière. Son mouvement brusque du bras lui tira une légère douleur dans le dos et elle plissa le nez en tournant la tête, inconsciemment.
- Hum… Si ça ne vous dérange pas… Voudriez-vous jeter un coup d’œil à mon dos ? Je crois avoir une simple douleur musculaire, mais mieux vaut en avoir le cœur net. S’il vous plait ?
Il était évident que la navigatrice était mal à l’aise de demander ainsi de l’aide concernant ses blessures. Elle aimait se montrer comme une femme forte et indépendante. Et à l’instant, elle se sentait coincée et à des lieux de sa zone de confort. Bon, Nessa n’avait pas peur des épreuves, des aventures et des surprises que lui présentait la vie, mais il fallait avouer que parfois, elle sentait les événements la dépasser. Et se reposer sur autrui n’avait jamais été son point fort, ayant toujours eu l’habitude de tout faire par elle-même, comme elle le souhaitait. Cependant, elle avait conscience qu’à l’instant, ses propres moyens étaient bien limités et bien honnêtement, elle était rassurée de ne pas être complètement seule. Le triton dégageait une bienveillance à laquelle Nessa voulait croire. Elle voulait lui faire confiance. Elle se tourna donc dos à lui, poussa ses cheveux vers l’avant et défit l’attache droite de son chiton. Elle retint son linge en place, laissant simplement une partie de son dos à l’air, l’endroit qui la faisait souffrir.
- Oh. Vous pouvez m’appeler Nessa et… je suis désolée pour tout à l’heure.
Elle ajouta ces derniers mots d’une voix douce et penaude. Elle n’avait pas voulu l’effrayer ni lui voler le bijou qu’il avait retrouvé. Elle n’avait pas même pris le temps de s’expliquer et elle décida de le faire tout de suite, pour espérer pouvoir tenir à nouveau son bien perdu entre ses mains.
- La chaîne d’argent que vous portez… pourrais-je la ravoir ? (Elle fit une courte pause avant de reprendre, la tête dans les souvenirs) C’est un cadeau précieux. C’est… la dernière chose que m’a offerte mon père. J’y tiens beaucoup.
Ses épaules s’affaissèrent un court instant. Nessa n’était pas la femme la plus familiale qui existait. Elle suivait sa propre voie, ne laissant la chance à personne de la retenir en arrière. Que ce soit famille ou ami. Sa soif d’aventure et de savoir dominait tout. Pourtant, elle ne pouvait se détacher de cette chaîne que lui avait offerte son paternel. Lui qu’elle ne verrait plus jamais et qui lui avait partagé son amour de la mer. Celle qu’elle était aujourd’hui lui devait beaucoup et ce bijou renfermait ses doux souvenirs d’enfance. Elle ne savait pas comment elle allait réagir s’il refusait de lui redonner. L’inquiétude se créa un chemin en elle sous cette idée.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 3 Fév - 12:14
Thylesandr fut soulagé de constater qu'elle le prenait au sérieux. Il n'y avait rien de pire qu'un patient minimisant ses blessures ou réticent à se faire examiner - mais celle-ci semblait plus consciencieuse, et il l'observa faire le bilan de ses plaies avec une certaine satisfaction. Il fallait une grande maturité pour prendre soin de son propre corps, l'écouter pour saisir les signes subtils d'une maladie. Et voici qu'elle passait assidûment en revue ses bleus et douleurs, sous l’œil attentif du triton qui suivait chacun de ses gestes.
Quand, enfin, elle prit la parole, ce fut surtout pour lui assurer qu'elle n'était pas un petit bout de femme fragile. Il esquissa un sourire désolé - loin de lui l'idée de la diminuer ! Au contraire, il la trouvait plutôt brave d'avoir su ainsi résister à la mer. Combien de fiers matelots pris dans un naufrage n'avait-il pas entendus pleurer après leur mère, loin là-bas dans le Passage des Aiguilles ? Il s'agissait pourtant d'hommes - d'hommes qui riaient grassement en buvant leur hydromel, qui se targuaient d'être forts et comparaient leur musculature à grands renforts de blagues douteuses. Des hommes dans toute leur splendeur, en somme. Thylesandr en avait assez vu à leur sujet pour savoir qu'ils ne valaient guère grand-chose - à moins que ce ne soit là que son instinct de triton, l'attirant irrémédiablement vers les jeunes femmes en abandonnant leurs compagnons masculins à ses sœurs sirènes.
Il voulut donc la rassurer, lui affirmer qu'il ne remettait pas sa force en cause, mais la mention d'une douleur à la tête le stoppa dans son élan. Voilà qui n'était pas bon signe, et il sentit son visage se crisper - une expression qu'il tenta immédiatement de détendre pour ne pas causer d'inquiétude inutile à la blessée. Au fond, il ne pouvait pas savoir ce dont elle souffrait sans l'avoir examinée et, même si une douleur à la tête restait assez inquiétante, elle pouvait aussi se révéler bénigne. Cependant, chacun de ses mouvements semblait réveiller un nouveau mal, et elle ne tarda pas à lui demander un peu d'aide. Il était reconnaissant d'être tombé sur une patiente aussi docile - mais aussi très inquiet, car elle ne semblait pas du genre à se révéler ainsi au premier venu. Si elle voyageait souvent à bord de bateau, alors elle avait dû avoir affaire à bon nombre de rustres, et elle connaissait la prudence. Qu'elle accepte ainsi de requérir l'aide d'un étranger... Elle devait se sentir spécialement mal, et Thylesandr craignait qu'elle garde sous silence certaines douleurs.
- Bien sûr, répondit-il humblement. Il restait dans la réserve pour ne pas l'embarrasser davantage, témoignant du respect propre aux médecins. Souvent, les femmes préféraient se faire soigner par d'autres femmes, mais il lui était déjà arrivé quelques fois de s'occuper de patientes féminines. Il pensa à se hisser sur la roche pour l'atteindre plus facilement, et songeait déjà à se changer en homme - s'aider de jambes était bien plus aisé que se traîner à bout de bras sur la terre ferme - mais, heureusement, eut la présence d'esprit de ne pas se transformer. Il n'avait aucun vêtement à disposition dont se couvrir, et avait déjà commis l'erreur de se montrer nu sans faire exprès bien trop de fois. Pour sa défense, il n'avait pas le même rapport à la nudité que les êtres humains - si certains gens de la mer étaient pudiques, ce n'était pas le cas de sa famille. Ses sœurs ne couvraient pas leur poitrine, et la nudité était chez eux aussi naturelle que vénérée. Une philosophie que tout le monde ne comprenait pas, en particulier les humains.
La navigatrice lui montra alors son dos, et Thylesandr se hissa sur une plateforme rocheuse juste sous la surface afin de l'atteindre plus facilement. Pouvant ainsi reposer toute la moitié inférieure de son corps, il était plus libre de mouvoir ses bras sans devoir les utiliser en guise d'appuis. Doucement, et avec le même respect qu'auparavant, il posa ses mains sur la peau de la jeune femme. Il palpa d'abord l'épaule qui semblait la faire souffrir, pressant légèrement sur le muscle et jaugeant l'état des nerfs qu'il pouvait sentir sous ses doigts.
- Pardonnez-moi si c'est désagréable. Cette fois, une pointe de honte pouvait se faire percevoir dans sa voix. Thylesandr était de ceux qui, sous leur forme aquatique, avaient les mains palmées - dans son cas, la membrane de peau n'atteignait pas le bout de ses doigts mais ne couvrait que les métacarpes. Il était d'habitude plutôt fier de ses attributs ichtyens, mais il savait que certains humains les trouvaient répugnants. La sensation de sa membrane de peau dans le dos de la guide risquait de ne pas lui faire plaisir.
Alors qu'il l'auscultait, elle lui révéla son nom, et s'excusa même de l'avoir effrayé. Il eut trop honte pour répliquer, et se contenta d'un simple son guttural en guise de réponse, afin qu'elle sache qu'il l'écoutait. Il préférait se concentrer sur son examen médical et, après l'épaule, s'intéressa au haut du dos de Nessa. Il pressa doucement ses pouces sur sa colonne vertébrale, remontant avec précaution en appuyant sur chaque vertèbre. Il voyait un schéma se matérialiser dans son esprit au fur et à mesure de sa progression, imaginant l'état général de la rescapée.
- La chaîne... ? s'interrogea-t-il en murmure. Le sujet semblait délicat pour elle. Il crut percevoir un certain deuil dans sa voix - mais s'il s'agissait du deuil réel de son père, ou du deuil d'un départ, il l'ignorait. Il aurait sincèrement aimé l'aider, mais il ne voyait pas de quoi elle pouvait parler... oh ! OH ! La chaîne !
Il se mit à rire doucement alors que ses doigts atteignaient les vertèbres cervicales de Nessa. Il était ravi d'avoir la solution à ses problèmes à portée de main et, surtout, se trouvait très bête de ne pas avoir compris plus tôt.
- Bien sûr. Je pense qu'elle vous sied bien plus qu'à moi. A bien y réfléchir, un bijou si fin était indéniablement féminin. Vous pouvez la reprendre. Peut-être était-ce un manquement à l'étiquette, mais Thylesandr ne prit pas la peine de la lui donner lui-même - il avait trop peur d'ôter ses mains du dos de Nessa, craignant perdre sa progression et son schéma mental. Ses cheveux étaient pourtant sacrés, et il ne laissait pas n'importe qui les toucher - mais il pouvait au moins lui accorder ça après tout ce qu'elle avait subi dernièrement.
- Votre dos va bien. S'il vous fait souffrir, une bouillotte devrait vous soulager jusqu'à ce que le corps se remette de lui-même... commença-t-il enfin son diagnostic. Vos nerfs sont noués ici, fit-il en lui effleurant l'épaule du bout des doigts, mais ce n'est pas nouveau. Des massages vous feraient du bien. Dernièrement, la mode était au bien-être et au luxe, et plusieurs thérapeutes conseillaient à leurs patients de fréquenter les thermes à des fins médicinales. Thylesandr était de leur avis, et jugeait que les Kairossi ne prenaient pas assez soin de leur bien-être. Se détendre était pourtant terriblement important. Cependant... reprit-il en passant aux points moins positifs. Il posa ses mains en coupe sous les mâchoires de Nessa, entourant ainsi toute la base de son crâne de ses doigts. Doucement et avec une lenteur délibérée, il lui fit pencher la tête de droite à gauche. Il sentait de petits craquements résonner sous ses pouces posés sur les cervicales. Votre nuque s'est fragilisée. C'est sans doute ce qui vous cause des douleurs. Ce n'est rien de grave, mais il faudra vous ménager et tâcher de bouger doucement.
Enfin, il la libéra de son emprise et reposa ses mains sur la roche. Il était assez satisfait de lui-même - il avait oublié combien il aimait réfléchir et résoudre des problèmes... Mais il réalisa alors que tout ce professionnalisme pouvait lui sembler étrange, sur quoi il s'expliqua sans attendre :
- Oh, pardonnez-moi. Je n'ai pas toujours vécu dans la mer, et j'ai passé de longues années auprès des Hommes. J'ai beaucoup étudié, et je suis versé en médecine. Autant dire que dans son malheur, Nessa avait eu énormément de chance.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Dim 3 Fév - 20:03
Ses yeux examinaient avec attention les détails du rocher sous elle. Passant une main sur la pierre, elle réalisa que plusieurs égratignures étaient la cause de la roche irrégulière sur laquelle elle s’était hissée de force. Immobile, elle s’obligea à ne pas s’agiter sur place sous l’embarras et elle tentait de son mieux de concentrer son esprit sur autre chose que les doigts qu’elle sentait sur son dos. La sensation était étrange. Elle préférait tenir les gens à distance, ne pas se laisser approcher et les contacts physiques restaient assez rares pour la navigatrice. Sa peau frissonnait légèrement à son toucher, comme si son corps sursautait un peu chaque fois. C’était léger, presque invisible, mais elle le ressentait atrocement dans son esprit. Mais le plus étrange était de sentir la différence entre leurs mains. Une envie de se retourner la démangeait. Elle voulait observer plus en détail la paume du triton. La curiosité l’envahit à nouveau et elle dut se concentrer pour ne pas bouger. Allez, elle pouvait attendre quelques secondes de plus avant de se tourner.
La douleur dans son dos n’était pas insupportable, mais certains points l’élancèrent plus que d’autres. Ses sourcils se fronçaient, ses muscles se contractaient lorsqu’elle avait mal, mais elle essayait tout de suite de se détendre pour ne pas rendre le travail plus difficile à Thylesandr. Au début, elle avait pensé qu’il ne ferait que jeter un coup d’œil et lorsqu’elle avait senti le bout de ses doigts contre son dos, elle avait été surprise. Mais l’étonnement passé, elle était secrètement reconnaissante du diagnostic qu’elle recevait gratuitement. Après tout, ce naufrage pouvait avoir causé des ravages à son corps. Ce n’était pas une simple chute ou une petite coupure. Ce fut un véritable combat pour sa survie.
Sa concentration se séparait en deux. Une part d’elle suivait chacun des mouvements du triton dans son dos, l’autre bouillonnait d’anxiété en attendant une réponse à sa question posée. Allait-elle retrouver son bijou ? Dos à lui, elle savait pouvoir laisser son inquiétude poindre sur son visage sans qu’il le voie. Elle n’avait jamais pensé perdre un jour sa chaîne d’argent. Elle qui s’en occupait avec attention chaque jour. L’avoir ainsi à proximité, sans pouvoir la toucher élevait en elle plusieurs sentiments qu’elle ne prenait normalement pas le temps de décortiquer. Nostalgie et tristesse. Soulagement et bonheur. Anxiété et peur. Elle se sentait un peu perdue, proie à ses émotions qu’elle préférait enfouir au fond d’elle-même sans leur accorder le temps de vivre. Mais en ce moment, elle se sentait coincée dans cette tornade qui vivait en elle. Lorsque les mots qu’elle souhaite le plus entendre passèrent les lèvres de Thylesandr, une vague d’apaisement s’abattit sur elle. Rassurée, elle voulut retourner ce tourbillon de sentiment importun là où elle le laissait normalement. Elle ferma les yeux et se posa silencieusement en attendant la fin de l’examen.
Nessa ouvrit doucement les yeux lorsqu’il reprit la parole. Elle écouta avec attention les résultats du diagnostic. Aucun problème sérieux au niveau du dos, bien heureusement. Elle savait qu’elle était tendue. Elle ne prenait pas souvent le temps de se détendre, autre que quelques baignades appréciées lors de ses escapades en solitaire. Mais rien qui ne valait un véritable massage. La seule personne qu’elle avait déjà autorisée à masser ses épaules était sa mère. Elle n’avait jamais pu se résoudre à laisser les mains d’un inconnu se balader sur son corps. Aussi agréable et nécessaire que fût un massage. Cette journée était une énorme exception dans sa vie et elle avait l’impression de contredire ses choix habituels. Pour se rassurer, elle se disait que la survie en valait la peine.
Lorsqu’il retira ses mains de son cou, Nessa posa la sienne sur sa nuque. Elle devrait penser à faire attention et à ne pas agir brusquement ou impulsivement. Elle rattacha son chiton avec adresse avant de se tourner, pour faire à nouveau face à Thylesandr. Elle prit alors conscience qu’elle ne s’était pas même posée à la question à savoir s’il était compétent pour examiner ses blessures. Il dégageait l’impression de savoir ce qu’il faisait, elle lui avait donc simplement accordé sa confiance. Son explication attisa à nouveau la curiosité de Nessa et elle pencha légèrement la tête en observant l’homme. Un érudit ? Oh, c’était intéressant. Aurait-elle pu mieux tomber dans son malheur ? Un mince sourire étira ses lèvres.
- Merci, dit-elle simplement, avec sincérité.
Si les questions se bousculaient dans sa tête et qu’elle voulait en savoir plus sur lui et son peuple, elle devait s’occuper de quelque chose avant tout. Elle leva le bras d’un geste lent et approcha en douceur sa main du triton. Elle marqua une légère hésitation en frôlant sa chevelure blanche, puis glissa délicatement ses doigts entre ses longues mèches. Elle entreprit de déprendre le bijou avec attention. Sa concentration se portait sur la chaîne, mais elle ne put empêcher une lueur surprise et émerveillée d’apparaitre dans ses yeux en sentant la douceur de ses cheveux sur sa peau. À tous les coups, elle était impressionnée par l’être qui se tenait devant elle. Lorsque la chaîne tomba finalement dans sa main, elle recula sans quitter du regard les mèches desquelles elle venait de retirer ses doigts. Elle se dit alors qu’elle aurait pu prendre davantage son temps pour décrocher la chaîne et apprécier un peu plus l’agréable sensation de ses cheveux sur sa paume. Était-ce de la déception qu’elle ressentait subitement ?
Amusée de sa réaction, elle abaissa finalement la tête vers son bijou. La vue de l’argent contre sa main chassa tout autre pensé de son esprit et un sourire spontané et étonnement chaleureux apparut sur ses lèvres. Elle serra la chaîne contre sa poitrine avec joie. Un soupir heureux quitta ses lèvres et elle n’attendit pas une seconde de plus avant de replacer la chaîne dans ses cheveux, l’entrelacement de métal tombant sur son front. Le plaisir se lisait sur son visage et elle posa son regard sur Thylesandr. Maintenant que son bijou avait retrouvé sa place sur sa tête, elle pouvait se concentrer sur sa mission du moment. Sortir d’ici et assouvir sa curiosité concernant le triton. Elle resta un moment en silence, observant sans gêne apparente l’homme. Que voulait-elle demander en premier ? En savoir davantage sur le peuple de la mer ? Sur ses études ? Sur lui ? Nessa n’aimait pas mettre tous ceux d’une même race dans le même panier. Connaître la personne était ce qui selon elle était le mieux. Poser les mêmes préjugés sur tous ceux qui avaient une queue de poisson n’avait aucun sens pour la jeune navigatrice.
- Thylesandr. Elle prononça d’abord son nom. Simplement. Il n’était pas simplement un triton. Il était quelqu’un et elle décida qu’elle voulait en savoir plus sur lui d’abord. Peut-être lui poserait-elle des questions sur ses capacités d’habitant de la mer plus tard. Tout de suite, elle voulait en apprendre plus sur celui qui avait accepté de l’aide pour ses blessures. Êtes-vous un érudit ? La médecine est un domaine qui me parait très complexe. Avez-vous étudié à la capitale ? Qu’y avez-vous appris ?
Les questions avaient quitté ses lèvres dès qu’elle les avait pensées. La curiosité dans ses pupilles brillait et elle était réellement intriguée par l’être qui l’accompagnait. Elle était impressionnée par les étudiants de ce monde, elle-même n’ayant jamais été douée pour tenir en place dans une classe. Combien de fois sa mère avait-elle dû la retenir pour ne pas qu’elle s’élance vers les ports du village ? Elle avait toujours préféré explorer, découvrir et apprendre par les voyages. Il n’en restait pas moins qu’elle adorait entendre les gens lui raconter histoires et faits sur le monde. Mais elle pensa soudainement que le temps n’était pas à la curiosité, mais bien à la survie. Elle leva le regard vers le ciel, calculant la course du soleil. Un doute la prit soudainement.
- Savez-vous où nous sommes actuellement ? Je n’ai normalement aucun mal à m’orienter, mais… cela risque de me prendre plus de temps que prévu. L’est est bien de ce côté ?
Elle caressa vaguement son tatouage de la main. Elle détestait ne pas avoir ses cartes et ses effets avec elle. Ça rendait les calculs plus difficiles. Elle préférait tout couler sur papier pour avoir une vision globale des choses. Elle sentait l’inquiétude la gruger au fond d’elle. Ce sentiment de désorientation et perte lui déplaisait amèrement et elle voulait se retrouver au plus vite. Son regard revint sur Thylesandr. Entre curiosité et inquiétude, elle ne savait pas plus ce à quoi elle devait accorder le plus d’importance.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 3 Fév - 22:33
L'examen terminé, elle remit son vêtement en place et se tourna ensuite vers lui. Il fut soulagé de voir qu'elle lui souriait, et qu'elle ne semblait pas offensée par son effronterie - ce n'était que maintenant qu'il se rendait compte qu'il aurait dû lui dire qu'il était médecin dès le début. Mais elle ne lui en voulait pas, et alla même jusqu'à le remercier. Il n'avait pourtant pas fait grand-chose - certes, il lui avait offert un examen médical gratuit, mais l'argent n'était guère très important à Kairos, et surtout pas pour un triton.
Elle tendit doucement un bras vers lui afin de récupérer son bijou comme il le lui avait permis. Le geste était lent, comme si elle se souvenait du malencontreux réflexe que Thylesandr avait eu un peu plus tôt, et il sentit son cœur se gonfler de reconnaissance face à tant de prévenance. Il pencha donc légèrement sa tête vers elle, lui facilitant ainsi l'accès à sa délicate chevelure. Mais alors qu'elle commençait à desserrer sa perle d'or pour en défaire la chaîne d'argent, il sentit une vague de chaleur l'envahir sans crier gare. Il n'était pas à l'aise, car très peu habitué à tant de proximité. Bien sûr, les gens de la mer n'étaient pas prudes entre eux - en tout cas, pas ceux de sa famille; et ses sœurs s'étaient souvent amusées avec ses cheveux, se collant contre lui malgré leur nudité mutuelle. On aurait même pu croire qu'ils flirtaient - mais ç'aurait été mal les connaître : Thylesandr et ses sœurs batifolaient ensemble de la même façon que les lionceaux se battaient entre eux. Sans le faire sérieusement, mais en jeu. Pour s'entraîner à la vie future.
Pourtant, ces temps de jeux n'avaient pas porté leurs fruits - et aujourd'hui, confrontée à une humaine, il se sentait gêné comme un adolescent. Il avait toujours eu du mal avec les Hommes. Il les avait toujours craints plus que ses frères. Il avait toujours été beaucoup plus fasciné par eux, aussi. Une véritable histoire d'amour et de haine mêlés le liait au peuple de la terre, et ces sentiments difficiles risquaient de mettre autant de temps à disparaître qu'ils avaient mis à se créer - un siècle complet, peut-être. Malgré tout, il se força à rester docile et immobile, adorant la sensation des doigts de Nessa dans ses cheveux autant qu'il la détestait. Et, enfin, elle récupéra sa chaîne - et il put respirer à nouveau.
Les branchies de son cou palpitaient avec angoisse mais, au-delà de ce détail, rien ne trahissait son anxiété soudaine. Par bonheur, la navigatrice semblait trop occupée à admirer son bien retrouvé pour remarquer sa fébrilité, et il eut tout le loisir de se calmer avant de se faire prendre. Il se prit à l'observer à nouveau, remarquant sans mal son visage qui rayonnait de bonheur, et cette étincelle pure au fond des yeux. On aurait dit... Dama, quand elle venait de se trouver un nouveau coquillage préféré. Oui, c'était ça. En cet instant précis, Nessa possédait tout de la pureté d'une enfant - et il en eut le souffle coupé. Comment avait-elle pu préserver cette naïveté dans ce monde si vil ? Bien sûr, il savait que cette situation était exceptionnelle et qu'en temps normal, elle devait être beaucoup plus sûre d'elle. Plus forte et plus indépendante, taillée pour le travail en mer - comment aurait-elle survécu à ce naufrage, sinon ? Et à un équipage entier d'hommes sales et macho ? Oh, sans doute était-il témoin de quelque chose de précieux, car très rare.
Il laissa son regard s'attarder sur le bijou qui ornait à présent son front. Il hocha doucement la tête, comme pour confirmer que la chaîne était à sa place. Nessa, avec ses cheveux lâchés et trempés, un bijou d'argent sur le front, avait tout d'une sirène. Lui-même adorait le bijou d'or qui ornait son propre front, juste à la naissance des cheveux, et empêchait justement ceux-ci de lui retomber sur le visage. Décidément, la guide avait bon goût.
Mais voici qu'elle le faisait sortir de sa rêverie en appelant son nom. Il l'écouta avec attention, se mettant même à rire doucement au mot érudit. Il serait fort vaniteux de sa part de se nommer lui-même ainsi. Ce serait même encore pire s'il prenait plaisir à être le centre d'attention de la sorte. Heureusement que ce n'était pas du tout son genre !
Cependant, avant qu'il ait eu le temps de s'étaler sur sa vie, elle commença à s'inquiéter de leur position. Sans doute le manque de repères devait-il la faire se sentir en insécurité... Il aurait aimé l'aider, mais les repères avec lesquels il était le plus familier étaient tous sous-marins. Les noms et lieux que son peuple connaissait étaient sans doute étrangers à l'humaine - heureusement, elle avait déjà commencé à prendre ses propres marques, et Thylesandr n'avait plus qu'à confirmer ses dires.
- C'est bien ça, affirma-t-il donc en baissant les yeux sur le motif dessiné sur la peau de Nessa. Une rose des vents. Ô combien approprié. Nous sommes à un peu moins d'un jour de navigation de Kalispera, dans cette direction. Il porta son regard au loin, pensif. C'était bien beau de s'être occupé des blessures de la jeune femme, mais comment allait-elle rentrer chez elle... ? Oh, il commençait à voir où tout cela allait le mener. Il reporta son attention sur elle - son sourire avait disparu et elle semblait inquiète. Ne vous en faites pas, nous ne sommes pas perdus, voulut-il donc la rassurer. Ces eaux étaient son territoire, et elle-même n'aurait bientôt aucun mal à se positionner mentalement sur les cartes virtuelles qui devaient être gravées dans sa mémoire, si elle était réellement navigatrice.
Il n'était pas sûr de la marche à suivre à présent - était-il sage de lui proposer son aide ? Ne risquait-il pas de se mettre en danger ? Mais en même temps, avait-il vraiment le choix ? Il ne pouvait décemment pas la laisser là, surtout pas après avoir pris tant de soin à l'ausculter... Rien ne garantissait qu'un autre bateau passerait par là pour la récupérer. Cependant, pour l'heure, il ne voulait pas s'inquiéter, et il esquissa un faible sourire. S'ils voulaient trouver une solution, commencer par la défaire de ses angoisses semblait une bonne idée. Et s'il répondait à ses précédentes interrogations ?
- Je connais Kalispera. Je l'ai longtemps côtoyée, même si je n'y ai jamais vraiment vécu. J'ai connu beaucoup de professeurs, mais... il serait fort présomptueux de ma part de juger moi-même de mon érudition, n'est-ce pas ? tenta-t-il un trait d'humour pour la détendre. Je pourrais vous parler de bien des sujets, mais... j'aurais trop peur de vous ennuyer. Au moins avait-il conscience que s'il commençait à parler de lui ou de ses études, plus rien ne l'arrêterait. Qu'en est-il de vous ? On m'a, entre autres, enseigné la navigation - et ce n'est guère un domaine aisé. Où l'avez-vous apprise ? La replonger dans des souvenirs plus gais ferait sûrement s'enfuir ses inquiétudes - du moins l'espérait-il.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Lun 4 Fév - 6:21
Sa main glissa sur son avant-bras, évitant soigneusement les quelques plaies et égratignures qui l’élançaient et elle fixait le dessin gravé sur sa peau. Son cœur se serrait sous l’inquiétude qui s’était rappelée à elle. Elle voulait réfléchir, comprendre sa position sur l’île. Visualiser mentalement les chemins qui s’offraient à elle. Tâche habituellement facile pour la guide qui savait s’orienter d’un coup d’œil sur le ciel. Malheureusement, l’angoisse brouillait son esprit, mélangeait ses calculs et la rendait hésitante dans ses hypothèses. Elle avait étrangement besoin d’être rassurée. Son périple dans la mer l’avait mise à l’envers plus qu’elle ne voulait se l’avouer. Des naufrages, elle n’en avait pas souvent vécu. Elle avait bravé plusieurs dangers en mer. Quelques attaques, des imprévus et des tempêtes. Certains navires avaient trouvé les fonds marins, mais une barque était toujours à proximité pour l’équipage. Elle ne s’était jamais retrouvée aussi éloignée à se défendre contre les puissances vagues ne cherchant qu’à l’engloutir. Cela sans se souvenir comment elle était arrivée là. Ce détail continuait de la déranger. Pourquoi n’arrivait-elle pas à mettre la main sur ces images floues qui expliquaient sa présence sur ce rocher ?
La voix de Thylesandr la tira de ses angoisses un instant. Elle leva le regard vers lui, écoutant la confirmation et hochant doucement la tête. Elle ne pouvait empêcher ses traits de trahir ses tourments, mais elle n’en prit pas conscience. Curieusement, elle était tiraillée entre l’embarras de sa situation et l’impression rassurante que lui envoyait le triton. Elle ne sut pas pourquoi, mais sa voix l’apaisa. Un jour de navigation de la capitale. Ils n’étaient pas perdus. Les mots s’ancraient en elle. Son esprit se concentra sur la direction que lui indiquait l’homme et comme si les morceaux manquants s’étaient mis en place, elle put concevoir la carte de Kairos dans sa tête. Elle ne savait pas exactement où elle se trouvait, mais elle pouvait déduire approximativement sa position. Elle savait où elle était ! Mais… comment s’était-elle retrouvée aussi loin ? L’incompréhension glissa brusquement dans ses yeux. Ce n’était pas sur le chemin qu’empruntait le navire. Comment aurait-elle pu survivre aussi loin à la nage ? Que s’était-il passé entre le moment où elle était sur le navire et celui où elle s’était retrouvée ici ?
Les pensées se bousculaient dans sa tête et elle ne savait plus sur quelles informations se concentrer. La douleur dans son crâne semblait vouloir la dissuader de trop réfléchir et elle abandonna bientôt l’idée de se remémorer les dernières heures précédant son naufrage. Elle concentra plutôt son attention sur le triton lorsque celui-ci accepta de répondre à ses questions. Elle poussa de côté ses questionnements pour le moment inutile. Un sourire pointa enfin aux coins de ses lèvres. Amusée par l’homme, elle laissa même échapper un rire, sentant la boule d’anxiété fondre dans le creux de son ventre. Elle prit alors conscience que l’inquiétude avait gonflé en elle. Son corps crispé se détendait miraculeusement grâce à ce petit éclat qui avait quitté ses lèvres. Le sourire continua d’embellir son visage pendant qu’elle écoutait. Elle voulait en savoir plus. Elle voulait l’entendre parler. Qu’importe ce qu’il racontait. Elle se demanda si elle était attirée par sa voix, car le chant des sirènes était ainsi pour les hommes. Mais elle ne voyait aucune malice en lui et prenait simplement plaisir à écouter les mots qu’il lui partageait. Elle ne pensa pas qu’elle pouvait être ennuyée. Avide de connaitre comme elle était, il y avait toujours quelque chose qu’elle voulait savoir. Il se tut cependant après lui avoir renvoyé quelques questions. Nessa n’était d’ordinaire pas très bavarde, mais partager ses souvenirs ne la dérangeait jamais. Elle avait bien vécu et se replongeait avec plaisir dans son enfance tranquille, sans jamais regretter les choix qu’elle avait faits. Elle était fière de la femme qu’elle était devenue. Elle leva les yeux au ciel, retournant à ses premières années sur les navires pêcheurs.
- Je suis fille de pêcheur et j’ai toujours adoré la mer. Le soir, mon père me racontait les constellations et les légendes ayant donné leur nom à chacune. Il m’apprenait comment lire le ciel alors que ma mère m’apprenait à lire les mots. Une vie de pêche ne m’a pourtant jamais intéressé. J’ai essayé de vivre tranquillement sur terre, mais mes pas me ramenaient sans cesse à la mer. Et j’ai appris la navigation à bord de navires marchands. Mes maîtrises en cartographie se révélant très utiles pour les marins.
Les souvenirs formaient images et récits d’enfance dans son esprit. Devant ses yeux, elle revoyait ses premières expériences près de la mer et le bonheur de sentir le roulement des vagues sous ses pieds. Sentir les caresses de l’eau sur sa peau lui avait toujours plu. Elle revit son apprentissage sur les navires marchands, aux côtés de capitaines bienveillants qui l’avaient prise sous leurs ailes. Le sourire s’allongeait sur ses lèvres alors que son esprit se trouvait des années en arrière. Elle sentait le vent salé chatouiller son visage et si ses cheveux n’étaient pas aussi humides sur ses épaules, ils se mêleraient à coup sûr sous les douces brises qui portaient les nouvelles du large. Son regard revint enfin sur Thylesandr.
- J’aime me considérer comme une enfant de la mer, mais… je reste une humaine née de la terre. Dans ses yeux se mêlaient plusieurs sentiments différents. Entre la curiosité d’une vie qui lui était inconnue, l’envie de découvrir les fonds de l’océan mystérieux, le bonheur d’être ce qu’elle était et la joie de naviguer les mers, elle ne comprenait pas elle-même ce qu’elle ressentait. Sa seule certitude était l’absence totale de regret. Je ne cache pas que j’adore autant explorer le moindre recoin de la terre que le vaste océan qui nous entoure. Je me demande malgré tout…
La question ne franchit pas ses lèvres. Elle s’arrêta, ferma la bouche et observa encore un moment le triton. Elle voulait en savoir plus sur lui. Sur la mer. Sur une vie sous l’eau. Voudrait-il partager un peu de sa personne avec elle ? Accepterait-il de lui en dire plus sur sa vie sous l’océan ? L’envie d’assouvir sa soif de connaissance se faisait beaucoup plus fort que le souhait de rentrer à Kalispera. Tant que son ventre ne criait pas famine, tant que son corps ne tombait pas de fatigue, tant qu’elle pouvait encore retenir son attention, elle voulait en savoir plus. Sans réellement le réaliser, elle se pencha légèrement vers l’avant, sa concentration avide de savoir posée sur l’homme. - Voulez-vous… me parler de la vie sous l’eau ? Ce doit être agréable de nager entre les courants marins, observer les bancs de poissons, ne pas manquer de souffle dans les profondeurs et explorer l’océan sans l’obligation d’être sur un navire. Même si j’aime beaucoup les bateaux. Vous savez, vous m’avez toujours fascinée, ajouta-t-elle avec un sourire légèrement embarrassé.
Elle s’était toujours posé des questions sur les sirènes et tritons. Une vie différente de la sienne. Et pourtant, leur chemin pouvait se croiser sans qu’elle en ait conscience. Peut-être avait-elle déjà croisé un habitant de la mer à la capitale ? Elle ne savait pas. Et elle n’avait jamais pu poser la question qui lui avait toujours trotté dans l’esprit. Comment était la vie sous l’eau ? Elle voulait savoir. Elle voulait comprendre. Éternelle amoureuse des mers, elle ne pouvait imaginer une existence plus en accord avec l’eau que celle des sirènes et tritons. La chance ne se représenterait peut-être plus jamais. Elle voulait la saisir avant qu’elle ne disparaisse.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Lun 4 Fév - 15:20
Un mince sourire se dessina sur les lèvres de Thylesandr alors qu'il écoutait Nessa rire. Il avait réussi à la distraire, et sa satisfaction personnelle se mêla au plaisir innocent de faire rire une inconnue. Il se croyait revenir à ses jeunes années, aux temps où il ne connaissait encore aucune inquiétude. A ces journées bénies où tout ce qui lui importait était de s'amuser avec ses frères de portée, à pister les bateaux égarés pour attirer les filles des marins dans l'eau. Là aussi, elles riaient. Au début.
Et la navigatrice de commencer son récit, sous l’œil attentif du triton dont elle avait décidément piqué la curiosité. Il l'écouta en souriant calmement, déjà nettement plus à l'aise qu'auparavant. Il se sentait paisible, en sécurité, et même assez heureux. Alors, il laissa ses défenses s'amenuiser, et abaissa son torse sur une plateforme de roche lisse où il se coucha sur le ventre. Les bras croisés sous le menton, il leva des yeux rêveurs vers Nessa, l'imaginant enfant, écoutant les récits de son père au coin d'un feu au-dessus duquel des poissons rôtissaient, avec son regard brillant de pureté. Elle lui parlait de son irrésistible attirance pour la mer, de son amour de la navigation et des cartes. Il comprenait sans mal tout cela et se disait que l'Eau l'avait sûrement choisie dès son plus jeune âge. Car l'Eau n'acceptait pas tous les voyageurs, et n'hésitait pas à tuer ceux qui ne la méritaient pas - par contre, elle apportait de l'aide à ses enfants, même s'ils avaient des jambes. Sans doute était-ce l'Eau qui avait envoyé Dama. Les plus jeunes étaient souvent plus sensibles à sa parole que leurs aînés.
Nessa continua, lui expliquant que son amour de l'exploration ne concernait pas que l'océan. Elle aimait également découvrir la terre - un point qu'il pouvait aussi comprendre, d'une certaine façon. Pour sa part, ce n'était pas la terre en elle-même qui l'attirait, mais les eaux douces qui y couraient. Il avait envie de découvrir les fleuves et les rivières qui dansaient du haut des falaises, loin là-bas à l'intérieur de l'île. Mais c'était trop loin pour lui, et il n'avait jamais osé s'y aventurer. En vérité, Thylesandr avait terriblement peur de s'éloigner de la mer - ce qui expliquait que, contrairement à d'autres personnes de son espèce, il n'ait jamais accepté de se trouver un véritable logement chez les Hommes. L'opportunité s'était pourtant présentée à plusieurs reprises.
La navigatrice laissa alors une question en suspens, s'attirant ainsi toute l'attention du triton. Il ne la quittait pas des yeux, attendant la suite avec curiosité, se demandant pourquoi elle semblait hésiter. Désireux qu'elle continue, il ne put s'empêcher de gigoter, et laissa sa queue de poisson émerger de l'eau dans un mouvement qu'on pourrait comparer à un trépignement d'impatience. Par chance, elle ne le fit pas languir longtemps, et il sentit son cœur se gonfler de satisfaction - et, sans doute, de vanité - alors qu'elle lui avouait sa fascination pour les siens. Évidemment, il le prit pour lui-même plus que pour son peuple, et cachait à peine l'orgueil qui l'emplissait.
- Vous m'en voyez honoré.
S'intéresser à sa vie, le flatter de la sorte était un excellent moyen de s'attirer ses bonnes grâces. Pourtant, Nessa ne semblait pas calculer ses propos - sans doute était-elle trop jeune pour se rendre compte du pouvoir qu'elle avait sur lui. Mais lui, du haut de ses longues années, était conscient de ses faiblesses - et s'il restait aux aguets d'une tentative de manipulation, il ne s'empêchait pas pour autant de profiter des flatteries qu'elle lui offrait si gentiment.
- La mer nous creuse des maisons. Elle façonne la roche, l'épuise des années durant pour nous offrir des refuges, commença-t-il d'un ton faussement humble. Il tourna son corps pour se reposer sur le dos, faisant encore une fois apparaître ses nageoires dans son geste. Ses cheveux auréolaient son visage d'ange tourné vers le ciel, couvrant la roche d'une cascade de fils couleur sable. Orseis lui-même en serait jaloux, osa penser l'effronté. Je vis dans l'une de ces grottes sous-marines. Elle s'ouvre dans la paroi du rocher en un étroit goulot, continua-t-il en levant les bras, les écartant pour illustrer la taille du passage. A peine plus grand que lui-même. Juste assez large pour que nous y passions, et juste assez petit pour en interdire l'entrée aux hydres. Et les hydres plus petites ne représentaient pas de danger réel pour eux. La roche est creuse, et le couloir débouche sur une grande salle, dont seule la moitié est immergée. C'est comme s'il y avait un trou d'air. En effet, la grotte de Thylesandr n'était pas entièrement remplie d'eau. S'il le désirait, il pouvait donc se reposer à l'air libre - un habitat parfait pour un amphibien tel que lui. J'y vis avec mes frères et sœurs de portée, termina-t-il enfin son explication.
Il avait pensé que lui parler de son mode de vie était une bonne entrée en matière. Rares étaient les récits crédibles qui en parlaient, dans le monde des Hommes - et, de toute façon, tous les tritons ne vivaient pas de la même façon. Mais son histoire risquait de mener à d'autres interrogations, qu'il anticipa avec plaisir :
- Nous naissons par groupes d’œufs et, même si j'aime tous mes frères et sœurs, je suis beaucoup plus proche de ceux de ma portée. Le principe était à peu près le même que celui des faux jumeaux. Nous avons décoré notre grotte de ces plantes qui luisent dans l'eau, pour avoir de la lumière. Nous avons aussi tout fait pour y attirer les poissons qui ont le même pouvoir. Il se mit à sourire, se remémorant leurs nombreux efforts pour convaincre ces poissons de venir s'installer chez eux. Autant dire que ça n'avait pas été aisé...
Il plongea son regard dans celui de Nessa, une lueur rieuse au fond de ses yeux pâles. Avait-il satisfait sa curiosité ? Était-ce ce qu'elle voulait entendre ?
- Ai-je au moins un peu répondu à vos questions ? Il y a tant à dire... soupira-t-il avec plénitude en détournant son regard vers le bleu du ciel. Il ne savait pas par où commencer, ni par où terminer.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Lun 4 Fév - 22:09
Son pied gauche effleurait doucement la surface de l’eau, sans jamais y plonger complètement. La sensation des vagues contre sa peau lui plaisait et elle admirait les ombres et lumières se perdant dans la mer. Dévorée par cet insatiable besoin de connaissance, elle se tenait immobile à l’affut du premier mot qu’il prononcerait. Son attention se portait à peine sur le jeu de son pied avec l’eau. Ses yeux étaient posés sur le triton allongé sur le dos et à son tour, elle le laissa glisser contre son rocher, avec précaution pour ne pas éveiller la douleur des ecchymoses colorant son corps. Le sentiment de perte qu’elle avait ressenti depuis son naufrage n’avait plus d’emprise sur son esprit et elle était simplement bien, prenant plaisir à imaginer les lieux souterrains qu’il lui décrivait. La tête contre les mains, elle gardait son regard brillant fixé sur lui. Elle se sentait rassurée et en confiance, comme si elle était plongée dans une bulle de sérénité qui l’envahissait tout entière.
Quelque part au fond d’elle-même, elle se souvenait des histoires racontées par les marins sur les sirènes et tritons. On disait d’eux qu’ils étaient mesquins et joueurs, sans pitié avec le cœur des marins ensorcelés. Des êtres magnifiques à la voix divine enchantant leur proie à la première note. Des êtres vicieux cachant un malin plaisir à noyer les hommes. Elle avait souvent entendu les paroles les prévenant de ne pas approcher les habitants de la mer. Mais ceux qui connaissaient Nessa savaient qu’elle n’avait jamais basé ses opinions sur les superstitions et les préjugés des navigateurs. Elle avait conscience qu’ils ne se connaissaient pas, mais elle refusait d’imaginer Thylesandr comme l’un de ces êtres mesquins ayant la ferme intention de la noyer. Les marins avaient aussi leur tort dans l’histoire. Combien avaient essayé de capturer ces beautés fascinantes de la mer ? Combien avaient été blessés par le désir des hommes de les posséder et les contrôler ? En tant que femme, elle avait dû se battre pour sa place à bord d’un navire et savait à quel point les hommes pouvaient se montrer désagréables. Elle pouvait comprendre l’aversion envers la race des hommes, mais le plaisir de noyer quelqu’un lui échappait complètement. Et à l’instant, elle refusait de croire que Thylesandr prendrait plaisir à la noyer. Surtout si elle voulait obtenir son aide, elle préférait ne pas douter de lui.
Aucun mot ne lui échappait et elle hochait parfois la tête pour indiquer qu’elle écoutait. Elle tentait d’imaginer ces grottes desquelles ils parlaient, suivant ce qu’il lui apprenait et ajoutant quelques détails probablement sortit tout droit de son imagination. Son esprit s’arrêta sur la mention des hydres et elle dut réfléchir pour se rappeler que les hydres aimaient la viande fraiche des sirènes pour se nourrir. Les serpents de mer étaient des prédateurs effrayants, autant pour les navires, que les plus gigantesques pouvaient précipiter au fond de la mer, que pour leur propre race qui les nourrissait lorsque les sirènes et tritons se dérobaient de leur route. Une autre question pointa le bout de son nez dans l’esprit de la guide lorsqu’il mentionna ses frères et sœurs de portée, mais avant qu’elle n’ait pu lui demander, il formulait déjà une réponse.
Pendant qu’elle écoutait la suite, elle laissa son regard s’attarder sur le corps du triton. Elle était fascinée par ses nageoires et ses cheveux gris qu’elle savait agréables au toucher. Elle laissa son regard glissé sur les écailles, admirant les reflets brillants qu’elles renvoyaient à travers l’eau. Elles donnaient une allure fabuleuse à l’espace qui les entourait. C’était magnifique. Il était magnifique. Elle en avait presque le souffle coupé maintenant qu’elle pouvait voir sa forme complète. Elle était contente qu’il se soit approché, lui permettant ainsi de l’admirer plus facilement. Son regard s’arrêta ensuite sur ses mains et elle détailla sa paume, ses doigts et la membrane qui l’avait intrigué plus tôt. Une envie presque irrésistible de tendre la main pour toucher la prit, mais elle s’obligea à ne pas bouger. Il lui fallait aussi cesser de fixer ainsi sa main avec curiosité. Elle releva le visage vers lui au même moment où il plongeait son regard pâle dans le sien. Elle sentit la gêne lui réchauffer le visage et elle espéra vivement qu’il ne l’avait pas prise à l’observer.
Elle prenait conscience qu’elle ignorait tout de ce peuple de la mer. Où ils vivaient. Comment ils vivaient. Ce qu’ils faisaient. Lentement, elle en découvrait plus. Et plus elle en apprenait, plus elle voulait en savoir. Elle n’avait jamais pensé aux familles nombreuses qu’ils avaient. De son côté, elle n’avait qu’un frère plus jeune et s’ils avaient été proches lors de l’enfance, elle n’avait pas reçu de nouvelles de lui ni de sa mère depuis quelques années. Elle devrait repasser par le village un jour, voir comment tout allait. Thylesandr avait donc plusieurs frères et sœurs. Elle se remémora de la jeune sirène qui avait attiré son attention plus tôt, et avouons qu’elle avait été celle à obliger le triton à approcher la navigatrice. Elle avait l’air beaucoup plus jeune que lui, elle en déduisit donc qu’il n’était pas de la même portée.
- J’ai beaucoup appris en quelques phrases. Je prends conscience que je ne savais presque rien de votre peuple. Vous êtes plutôt mystérieux, dit-elle avec une touche d’amusement.
Il y avait encore une foule de choses qu’elle voulait savoir, qu’elle ne comprenait pas ou qu’elle ignorait complètement, mais elle ne savait pas ce qu’elle voulait demander en premier. Elle voulait certes en apprendre plus sur leur race en général, mais elle voulait aussi en apprendre plus sur sa famille à lui. Elle décida de mettre de côté les questions trop générales et de se concentrer sur quelques sujets plus précis. Ce n’était pas une mauvaise idée. Ses premières pensées se dirigèrent vers la petite sirène inconnue. - La petite sirène qui vous accompagnait plus tôt, était-ce votre sœur ? Elle ressemblait à une boule d’énergie éclatante de joie. Je suis certaine que son sourire est contagieux. C’est elle qui vous a mené jusqu’à moi ? demanda-t-elle, curieuse d’en savoir plus sur la sirène et sur ce qui les avait convaincus de venir voir.
Elle n’osa pas ajouter qu’il n’avait pas l’air de vouloir s’approcher à première vue, ni d’apprécier qu’elle ait attiré l’attention de Nessa à grand cri. Et si la navigatrice n’avait pas été complètement abasourdie par le moment, elle aurait probablement trouvé la situation amusante. Elle se demanda s’il n’avait pas renvoyé la plus jeune à la mer par précaution. Peut-être. Elle n’ajouta pas non plus qu’elle était contente qu’il se soit approché, qu’il l’ait aidé et rassurée. Elle ne le dit pas, mais son regard était rempli de reconnaissance alors qu’elle fixait le triton.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Mar 5 Fév - 0:26
Elle s'était couchée à côté de lui alors qu'il parlait. C'était un geste anodin et qui ne signifiait pas grand-chose, si ce n'était le fait qu'elle devait se sentir aussi à l'aise avec lui que lui se sentait en sécurité avec elle. Et l'anomalie se posait justement là : ils se dévoilaient tous les deux dans la position la plus vulnérable, la plus inconsciente. Thylesandr en était lui-même le premier étonné - pour lui, d'habitude si méfiant des Hommes, se retrouver apprivoisé de la sorte... Certes, ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait - sa période d'études à Kalispera s'était justement retrouvée remplie de pareils moments -, mais il ne pensait pas que cela se reproduirait. Pas ainsi, pas dans la mer, pas sous sa forme originelle... Mais il ne rêvait pas l'instant présent, et tout était bien réel. Nessa et lui partageaient un étrange moment d'intimité, suspendu dans le temps. Ils étaient pourtant chacun le prédateur de l'autre : lui, le triton, ravisseur de jeunes femmes; et elle, l'humaine, chasseuse d'écailles. Ils auraient dû s'entre-déchirer.
La voix de la navigatrice était douce, sans doute fatiguée par son périple. Il en ressentait un certain privilège - là, perdus au milieu de l'étendue d'eau, plus rien n'existait à part eux. Ils étaient seuls au monde, et il était le seul à qui cette voix s'adressait. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus été la cible d'une telle attention. Et il s'en sentait encore une fois gonflé d'orgueil - il se sentait important. Pire encore, il se sentait puissant, car en cet instant précis, Nessa lui appartenait.
- Sage est celui qui sait qu'il ne sait pas, fit-il avec le même amusement qu'elle lui renvoyait. Oh, le grand philosophe que voilà. Il souriait avec sérénité - pourtant, le fond de ses pensées crut entendre un accent rauque dans la voix de Nessa. Il ne laissa rien paraître, mais supposa que sa gorge avait dû être irritée par l'eau de mer, si elle avait bu la tasse dans sa bataille contre les vagues. Il aurait dû au moins palper ses ganglions quand il en avait eu l'occasion, mais c'était sans doute trop tard... Quant à lui demander d'ouvrir la bouche pour inspecter l'aspect de ses muqueuses, c'était sûrement hors de question - mais soit, ça ne pressait pas. Après tout, ce n'était pas un état d'urgence, et elle irait consulter un médecin humain une fois de retour sur la terre ferme. Il en était presque déçu.
Elle évoqua alors Dama, et il ne put empêcher son sourire de s'agrandir en repensant à la petite sirène. Dama et sa queue rose pastel. Dama et l'étoile de mer dans ses cheveux roux. Dama la douce, qui dansait avec les poissons et faisait la course contre les raies manta. Dama qui riait comme le soleil, qui chantait avec les goélands. Le visage de Thylesandr s'adoucit sous l'effet de la tendre affection qu'il ressentait pour sa jeune sœur, et ses yeux en amande s'étirèrent davantage.
- Elle est exactement comme vous la décrivez. Elle s'appelle Dama, et c'est l'une des plus jeunes de notre famille. Les voilages s'étirant de chaque côté de sa queue semblèrent frémir d'excitation. C'est elle qui vous a trouvée. Elle vous a vue vous débattre dans l'eau, et elle voulait vous aider. Son sourire s'amenuisa alors, tandis qu'il posait les yeux sur le visage de Nessa d'un air désolé. En vérité, durant le laps de temps où Dama était partie le chercher, l'humaine aurait pu se noyer pour de bon. Elle est trop jeune pour se défendre, et nous lui avons interdit d'approcher les Hommes, sous aucun prétexte. A la place, elle est venue me chercher.
Dama avait au moins la vertu d'être particulièrement obéissante, et c'était sans doute ce qui l'avait préservée jusque-là. Les dangers étaient très nombreux pour les jeunes sirènes et tritons, et rares étaient ceux qui atteignaient l'âge adulte. Les aînés étaient donc très stricts avec leurs cadets : dans leur cas, le moindre écart de conduite était une question de vie ou de mort.
- Je dois avouer que sans elle... Il pausa un instant, conscient que ce qu'il allait dire risquait de lui faire perdre des points. Mais, étonnamment, il se sentait d'humeur sincère. ... je ne vous aurais peut-être pas aidée. Il était presque honteux de son égoïsme - Nessa s'était révélée être absolument charmante, et assez prévenante pour ne pas le considérer comme un monstre. Il avait l'impression que, s'il ne l'avait pas rencontrée, il aurait perdu une très belle opportunité. Pouvait-on cependant blâmer son instinct de survie et de préservation ? S'il évitait tant l'espèce humaine aujourd'hui, ce n'était guère sans raison. Je suis désolé, termina-t-il humblement en baissant les yeux.
De telles marques de respect relevaient de l'exceptionnel, pour un être aussi fier et vaniteux que notre triton. Cette journée semblait décidément marquée par le sceau de l'exception, car autant l'un que l'autre se révélaient des facettes d'eux-mêmes habituellement cachées aux yeux du monde. Doucement, il se positionna sur le côté, de façon à faire face à la navigatrice. Il espérait ainsi lui communiquer toute sa sincérité - et, en vérité, son air de chien battu laissait difficilement un doute sur ce qu'il ressentait.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Mar 5 Fév - 4:00
La petite sirène se prénommait Dama. C’était un joli nom qui lui allait très bien, trouvait Nessa. La navigatrice avait compris le petit bout de personne qui s’était présenté quelques secondes à elle. Elle se souvenait des grands gestes avec lesquels Dama avait attiré son attention, de l’excitation et la fierté en annonçant que son grand frère allait la sauver. Elle était adorable, il n’y avait pas d’autre mot et Nessa aurait bien voulu la voir nager avec cette joie de vivre qui semblait l’habiter. D’un autre côté, elle trouvait qu’ils étaient bien à deux. Ils pouvaient prendre leur temps, jauger les actions de l’autre et s’apprivoiser calmement. Avec Dama, la situation aurait été complètement différente et Nessa n’aurait peut-être pas pu découvrir Thylesandr comme il se présentait actuellement à elle. Elle était malgré tout reconnaissante envers la petite sirène qui avait porté son attention sur elle, s’inquiétant de sa noyade et cherchant à la sauver. Un toussotement inaudible quitta les lèvres de la guide.
Nessa avait pu trouver son chemin jusqu’au rocher, mais c’était la suite qui s’était rapidement montrée déconcertante pour la navigatrice. Elle était heureuse d’avoir eu de la compagnie pour se remettre de ses émotions. Une partie d’elle était étrangement soulagée de savoir que Dama n’allait pas vers le premier noyé pour proposer son aide. On ne savait jamais sur qui on pouvait tomber. Et un visage aussi joli et adorable que le sien aurait pu attirer désir impur et pensée sombre chez certaines personnes. Si Nessa se montrait souvent froide et détachée, parfois indifférente, elle ne souhaitait pas pour autant le malheur des autres. Et puis, en cette journée, les rôles étaient différents. Elle n’avait pas l’envie de se montrer froide. Elle porta une main à sa bouche, étouffant un nouveau toussotement.
L’attention de Nessa se porta sur la phrase suspendue. Son regard gris attendait la suite avec patience, se doutant de la direction que prenait la discussion. Et lorsque les mots se firent attendre, les lèvres de la jeune femme s’étirèrent lentement, doucement. Incapable d’empêcher ce sourire mêlant compréhension et soulagement. Compréhension, car elle le savait déjà et sans connaitre ses raisons, elle savait qu’elles existaient. Elle s’était rendu compte de son air méfiant, exaspéré presque à devoir s’approcher de la naufragée. Et soulagement, car il était sincère. Il aurait pu éviter le sujet, ou même ne jamais lui dire. Mais elle était touchée qu’il lui avoue ainsi, qu’il lui dévoile la vérité. Nessa secoua doucement la tête, en signe de négation devant l’excuse. Il n’avait rien à se faire pardonner. Ils étaient deux inconnus, suivant leur propre chemin, évoluant à des endroits différents. Ils avaient toutes les raisons du monde de ne jamais se croiser. Il n’avait jamais eu l’obligation de l’aider. Et pourtant, ils se faisaient face tous les deux.
- Je suis celle qui devrait s’excuser de vous causer des soucis. Vous remercierez Dama de ma part ? Je lui suis reconnaissante autant à elle qu’à vous. Si elle n’était pas là, vous ne seriez pas avec moi non plus.
Nessa n’avait pas considéré un seul moment cet aide pour acquis. Il ne devait pas la sauver. Il acceptait de le faire. Il y avait là une grande nuance et Nessa en avait pleinement conscience. Elle ne voulait pas se retrouver comme un fardeau pour le triton, même si elle se doutait que c’était ce qui arriverait. Elle comptait tout de même obtenir son aide pour réussir à quitter un jour ce rocher perdu. Et puis, bien honnêtement, il était impossible de lui en vouloir s’il la regardait avec cet air piteux et sincère au visage. Elle avait été prise légèrement au dépourvu et avait dû se concentrer pour arrêter de le fixer de ses grands yeux. La sincérité qu’elle lui découvrait l’attendrit et elle était ravie d’avoir pu voir une telle expression sur ses traits.
- Vous savez, je suis contente que vous…
Elle ne put terminer sa phrase, soudainement prise d’une quinte de toux. Elle se releva d’un coup en position assise, portant la main à sa bouche. Elle avait ignoré l’inconfort de son mieux, mais sa gorge l’obligea à lui porter attention. Elle avait l’impression d’avoir avalé une aiguille et détestait la sensation douloureuse de la toux. Bien heureusement, ça ne dura pas très longtemps et le sentiment d’étouffement la quitta de nouveau. Elle laissa un soupir s’échapper, portant les yeux à sa main tremblante. Hum ? Elle serra le poing et reposa sa main sur la roche pour cacher le tremblement soudain de son corps. Était-elle à bout de force ? Atteignait-elle finalement sa limite ? Après s’être débattue longtemps, elle savait qu’elle n’avait pas la force d’affronter un autre périple, mais elle n’avait pourtant pas le choix. Elle ne pouvait pas s’effondrer ici. Aucune chance. Elle n’allait pas abandonner. Elle se plaisait avec Thylesandr, sur ce rocher au milieu de la mer, comme si le monde leur appartenait à eux pour quelques heures. Mais elle ne pouvait pas survivre ici. Il lui faudrait rentrer. Et elle ne pouvait pas laisser son corps abandonner avant d’avoir retrouvé la terre. Ignorant totalement ce qui venait de se passer, elle tenta de cacher son angoisse sous un sourire et reprit la parole :
- Pardon. Je disais simplement que j’étais contente. Merci de m’avoir laissé une chance.
La chance de s’expliquer et de se présenter. La chance de l’observer et de l’écouter. Elle le remerciait d’avoir pris le temps de la rencontrer et de comprendre qui elle était, de lui avoir partagé ses connaissances et sa vie sous la mer. Dans ces quelques mots, elle espérait lui partager la joie véritable qu’elle éprouvait à l’instant, dans ce moment unique qu’ils partageaient ensemble. Mais elle savait que ce moment se terminerait. Et qu’elle devrait y mettre fin bientôt si elle voulait avoir la possibilité de rentrer avant que son corps se dérobe à elle. Un sourire entre tristesse et résignation se dessina sur ses lèvres.
Nessa Katos
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Mar 5 Fév - 14:31
Loin de prendre ombrage de l'aveu de Thylesandr, Nessa lui offrit un autre de ses sourires. Celui-ci était compréhensif, presque tendre. Il n'en fallut pas plus pour rassurer le triton, qui abandonna définitivement sa mine abattue quand elle mentionna vouloir remercier Dama. La petite allait être enchantée d'apprendre que l'humaine se portait bien, qu'elle était gentille et reconnaissante. Enfin... cela impliquait que Nessa rentre chez elle saine et sauve - et de ce côté-là, rien n'était encore garanti. Mais, pour faire bonne mesure, l'ondin se remit à sourire faiblement et hocha la tête en signe d'accord. Oui, il remercierait Dama pour elle.
Elle reprit la parole, mais se retrouva coupée en pleine phrase par une violente quinte de toux. Alarmé, Thylesandr se redressa en même temps qu'elle, toute son attention accaparée par l'état de la navigatrice. Il observait la façon dont son corps tressautait et écoutait le son que renvoyait sa toux. Il était bien placé pour savoir que toutes les toux n'étaient pas les mêmes - et celle-ci était sèche, sans doute douloureuse. C'était une toux qui n'avait pas pour but d'évacuer des glaires comme c'était le cas lors des rhumes ou des grippes - mais une toux qui servait surtout à signaler une irritation. Le médecin opina doucement du chef, pensif. Il préférait une toux sèche, car elle éliminait d'office les maladies plus graves. Sans mucus, il n'avait aucune raison de soupçonner une bronchite ou une angine.
Heureusement, la quinte de toux ne fut pas longue, et Nessa put continuer sa phrase sans difficulté apparente. Après avoir voulu remercier Dama, c'était à présent lui qu'elle remerciait. Il se remit à sourire d'un air étrange, les yeux perdus dans le vague. Il était bien trop tôt pour le remercier. Il était bien trop tôt pour qu'elle arrête de se méfier de lui. Les Hommes ne mentaient pas quand ils maudissaient le peuple de la mer. Ils avaient toutes les raisons du monde de vouloir sa peau. L'eût-elle rencontré plus jeune... Oh, il l'aurait sauvée, bien sûr. Il l'aurait gardée là, sur le rocher. Il aurait rôdé dans son périmètre des jours durant, empêchant les bateaux de lui venir en aide, la gardant jalousement pour lui. Tel un dragon protégeant sa princesse captive. Il lui aurait apporté à manger. Il l'aurait réchauffée la nuit, pour ne pas qu'elle tombe gravement malade. Il l'aurait soignée. Il se serait amusé à la maintenir en vie, comme un animal de compagnie ou un jouet vivant, l'isolant du monde entier afin de la couver d'une possessivité malsaine. Son regard se recentra sur celui de la jeune femme mais il garda le silence, un sourire contrit sur le visage. Il... pouvait encore le faire. Qu'est-ce qui l'en empêchait, au fond ?
Toute la dualité de son être se battait en son for intérieur. Le monstre marin, qui voulait posséder son butin, satisfaire sa curiosité et ne penser qu'à lui-même; et l'homme. L'homme bon, altruiste et plein d'empathie. Si sa confusion était réelle, son expression impassible laissait à peine paraître son trouble. Et, soudain, il baissa la tête et laissa échapper un profond soupir. Il avait fait son choix - l'homme avait vaincu, et le monstre marin retourna se tapir dans les profondeurs de son être. Pour l'instant. Quand il releva le visage, un sourire calme mais résolu y avait pris place. Il prit encore le temps d'observer Nessa et, face à son air pur et sincère, ne put empêcher un sentiment de tendresse d'adoucir ses traits.
- Vous permettez ? demanda-t-il doucement en levant les mains vers elle avec lenteur. Il n'hésitait plus mais prenait son temps, afin de ne témoigner d'aucune agressivité. Il posa ses doigts sur chaque côté du cou de la jeune femme, pressant légèrement pour chercher ses ganglions. Ils n'étaient pas gonflés. Mais Thylesandr n'ôta pas ses mains. Elle n'était pas versée en médecine - elle ne savait pas ce qu'il faisait. Il pouvait donc, en théorie, faire semblant sans en être inquiété. Sa peau, sans écailles, était si douce...
- Ne me remerciez pas si vite, entreprit-il de poursuivre la conversation afin de détourner son attention. Vous n'êtes pas encore tout à fait sortie d'affaire... Et cette toux est vilaine. Pas vraiment, en vérité, mais il aimait gonfler un peu la réalité pour se rendre plus important. Plus indispensable. Vous n'êtes pas encore malade, mais... Les nuits sont froides. Si vous restez ici, trempée comme vous êtes, vous risquez d'attraper quelque chose. Il tourna la tête vers l'horizon, où aucun bateau ne pointait le bout de son mât, malgré tout le temps qu'ils avaient attendu. Il lui sourit à nouveau. Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité avec moi. Oh non, elle ne l'était pas. Mais comment aurait-elle pu connaître les sombres pensées qui l'avaient tourmenté ?
Heureusement, Thylesandr n'était plus le jeune triton inconscient et fougueux d'autrefois. Il s'était fait plus sage, plus mesuré et plus réservé avec le temps. Il savait contrôler ses pulsions, et la vie lui avait donné assez d'expérience pour être un réel mentor pour ses jeunes frères et sœurs. Il était assez sage pour ne plus charmer les demoiselles et les attirer sous l'eau et, maintenant qu'il s'était décidé à être bon, il ne pensait déjà plus à ses sombres envies. Enfin, il daigna retirer ses doigts du cou de la navigatrice, son esprit mémorisant la sensation de sa peau lisse contre ses mains palmées. Il ne l'oublierait pas.
- Pour votre toux, il faudrait boire de la tisane de thym et de la tisane de racines de mauve blanche en alternance. Pas le soir, car ces plantes maintiennent éveillé. Du miel dans du lait de chèvre encore chaud, juste avant de dormir. Ces remèdes étaient simples et faciles à obtenir, même pour les plus pauvres - les chèvres étaient nombreuses sur l'île, car les terrains escarpés des falaises ne les effrayaient nullement. Quant au thym et à la mauve blanche, il ne s'agissait que de plantes sauvages aisées à dénicher - surtout pour une guide, qui devait connaître les terrains propices à la cueillette. C'était des remèdes de grand-mère assez répandus dans les familles, mais qui avaient toujours fait leur office - inutile d'être droguiste pour s'en procurer.
Mais on n'en trouvait pas sur les îlots rocheux perdus au milieu de la baie. Alors, doucement - afin de ne pas l'éclabousser -, Thylesandr replongea sa queue de poisson dans l'eau. Il s'immergea jusqu'à la taille avant de lever les yeux vers Nessa, un sourire presque déçu sur les lèvres.
- Je peux tenter de vous ramener sur l'île. Ou, au moins, vous approcher d'une embarcation qui pourrait vous secourir. Ils étaient pourtant à près d'un jour de navigation de la capitale, mais l'ondin nageait bien plus vite que les bateaux. Il leur faudrait tout de même de longues heures pour parvenir à une quelconque côte, et le trajet risquait d'être ardu pour l'humaine... Il y a tant de rochers dans le lagon; nous pourrons nous reposer s'il le faut. Même si le périple allait encore la fatiguer, Thylesandr était assez confiant : il savait qu'ils pouvaient y arriver. Mais ils devraient partir tout de suite s'ils espéraient retrouver l'île avant la nuit. Et, en vérité, le triton ne souhaitait pas trouver de bateau où abandonner Nessa - premièrement, parce qu'en le voyant ainsi, nageant en traînant une jeune femme, n'importe quel matelot croirait à un enlèvement et risquait de l'attaquer. Deuxièmement, car même s'il parvenait à confier la navigatrice à des marins, rien ne garantissait qu'ils lui portent secours. Et s'ils profitaient de son état faible et diminué pour lui faire du mal ? Non, il ne prendrait pas ce risque.
Thylesandr Psári
Nessa Katos
LIVING FREE AS THE WIND
Allégeance : Kairos
Mar 5 Fév - 19:58
Ce fut avec une certaine résignation qu’elle prit sa décision. Il était temps de rentrer. Elle ne pouvait pas rester ici indéfiniment. Sa curiosité prendrait bien plus de temps à se satisfaire que son corps ne pouvait lui accorder. Elle sentait déjà une fatigue musculaire l’envahir et elle déplorait l’effort qu’elle savait à venir. Son regard se perdit un moment dans l’horizon. Pourquoi avait-elle dû s’échouer si loin de la terre ? Comment allait-elle trouver la force de se rendre à la maison ? Mais... elle n’était pas totalement accablée par la situation. Ses yeux glissèrent à nouveau vers le triton. Après les embûches et la confusion, elle avait eu droit à un moment paisible, laissant libre cours à sa curiosité envers un monde qui l’avait souvent fasciné. Aussi épuisée se sentait-elle à l’instant, elle était contente de cette rencontre. Parfois, les chemins se croisaient de façon étrange et inattendue. Elle préférait voir les avantages plutôt que les inconvénients d’une situation. Gardant précieusement cette innocente curiosité qui la caractérisait si bien.
Ses yeux pâles se posèrent sur les mains de Thylesandr lorsqu’elles approchèrent. Un petit hochement de tête pour indiquer qu’elle l’autorisait à la toucher et elle fit de son mieux pour rester immobile. L’envie de s’emparer des mains du triton la reprit, mais elle essaya de se concentrer sur autre chose que la sensation de ses doigts sur son coup. Elle se focalisa sur sa voix, s’efforçant de mettre un sens sur ses mots et d’éloigner son esprit de sa curiosité par moment insolente. Elle croisa ses mains ensemble, pour les empêcher d’agir sans son accord. Et elle écoutait. Sa toux ? Devait-elle s’inquiéter ? L’inquiétude balaya un instant ses traits. Il avait raison, elle risquait de tomber malade si elle restait ici. Et son vêtement trempé collait de façon désagréable à sa peau, elle s’y sentait coincée et inconfortable. Ce qu’elle avait hâte de se changer lorsqu’elle y pensait. Enfiler un chiton propre, doux et surtout sec.
Nessa attendait patiemment le verdict sur sa condition de blessée. Son esprit suivait chacun des mouvements de ses doigts contre sa peau et son regard resta rivé sur le triton. Et elle voulait croire ce qu’il lui disait. Était-ce inconscient de se sentir en sécurité près de lui ? De se sentir rassurée et sereine ? Elle se laissait dominer par ce sentiment de bien-être qu’elle ressentait. Sans prendre en compte l’insouciance dont elle faisait preuve. Elle avait cet innocent désir de respect et d’égalité entre tous. Elle ne voulait pas douter de la parole des gens, tant qu’on ne lui en donnait pas l’occasion. Elle ne prenait pas conscience du danger possible d’être ainsi à la merci d’un homme de la mer. Elle voulait croire en son entourage, faire confiance à ceux qu’elle appréciait. Tout simplement. Se montrer soupçonneux n’était pas dans ses habitudes. La vérité était qu’elle était encore énormément naïve. Elle n’avait jamais été confrontée à ceux qui étaient fondamentalement cruels et malintentionnés. La chance l’avait toujours tenue loin de ce genre de personne et ses convictions encore intactes, elle acceptait de prendre la main de ceux qui proposaient leur aide. Sa naïveté causerait peut-être un jour sa perte.
Lorsqu’il retira ses mains, les yeux de Nessa s’y attardèrent de nouveau avant de se concentrer sur les remèdes qu’il proposait. Rassurée que ce soit des éléments simples à se procurer, elle réfléchissait déjà aux endroits où elle pouvait les trouver. Ce qui n’était évidemment pas sur les falaises et rochers isolés. Thylesandr le savait tout aussi bien qu’elle et elle permit une touche de surprise de s’afficher sur son visage lorsqu’il lui proposa de la ramener sur l’île. Ou enfin d’essayer. Ce court moment leur appartenant se terminait finalement. Était-ce une pointe de déception qu’elle voyait dans son visage ou était-ce simplement le reflet de son propre sentiment ? Et elle se demanda soudainement pourquoi une partie d’elle hésitait à quitter l’îlot rocheux. Autant voulait-elle rentrer que rester pour en savoir plus sur lui.
Lentement, elle laissa un sourire paraitre sur son visage. Elle pensait devoir être celle à le convaincre pour une telle solution, ou peut-être l’avait-elle déjà fait, sans même le réaliser ? Elle glissa alors ses pieds dans l’eau, sentant le picotement salé sur ses plaies. Elle s’approcha jusqu’à se tenir à l’extrémité complète du rocher, prête à retomber dans la mer. Elle ne bougea plus un moment, observant les vagues autour de ses jambes. Elle voulait se lever, mais s’inquiétait de voir ses forces l’abandonner après quelques efforts physiques. Il avait dit qu’ils pourraient se reposer, mais elle se questionnait malgré tout sur ses capacités actuelles. À aucun moment, les avertissements de marin ne lui effleurèrent l’esprit. Elle n’imaginait pas que Thylesandr puisse avoir de mauvaises intentions derrière les apparences. C’était aussi sa seule porte de sortie. Elle n’avait aucun moyen de survivre sur ce rocher. Que préférait-elle entre suivre le triton ou s’éteindre tristement ici ? Le choix était rapidement fait. Et pas une fois elle ne douta de lui. Avant de se laisser tomber à l’eau, elle préférait malgré tout être tout à fait honnête.
- Je... suis un peu épuisée, dit-elle d’une petite voix, légèrement gênée de l’avouer.
Lentement, elle laissa son corps plonger dans la mer, glissant de la pierre pour trouver l’eau. Ses pieds rencontrèrent quelques obstacles avant de se poser sur une roche immergée au fond. L’eau lui arrivait à la taille et elle avança doucement, s’assurant de ne pas glisser sur les algues et ne pas s’y prendre les pieds. Elle s’approchait de Thylesandr avec lenteur et son attention était focalisée sur ses pas. Ça y est, elle arrivait à bout de roche et allait devoir plonger pour de bon. Tout d’un coup, elle se sentit effrayée par les fonds marins, inquiète à l’idée de ne pas avoir la force d’affronter les éléments. Le léger tremblement de son corps se rappela à elle sous l’angoisse. Elle prit une inspiration et s’obligea à avancer. Elle sentit son corps s’enfoncer et battit faiblement des bras pour se maintenir à la surface. Des efforts qui réclamèrent plus de force qu’elle ne le pensait et sans y réfléchir davantage, elle s’accrocha à Thylesandr qui se trouvait près d’elle. Son corps tremblait. Sous l’effort, sous la peur, sous l’anxiété. Elle ne savait plus, mais elle ne voulait pas se noyer. Elle avait soudainement peur de se noyer. Elle adorait pourtant la mer. Elle ne voulait pas se laisser dominer par cette crainte. Elle allait passer par-dessus et nager dans l’océan comme elle avait toujours fait. Elle devait simplement se calmer. Puis, elle sentit les écailles du triton sous ses doigts et réalisa qu’elle s’agrippait à lui avec anxiété. C’était atrocement embarrassant. Et irrespectueux de sa part de l’avoir simplement utilisé comme bouée. Et si elle voulait se décrocher, elle ne pouvait pas s’y résoudre. La peur lui glaçait le sang. Elle se tenait curieusement immobile dans l’eau, sentant les vagues pousser doucement ses jambes, mais au fond, elle était plus troublée qu’elle ne voulait l’avouer.
- Je... euh... suis désolée. Mal à l’aise, elle chercha une roche ou autre chose à laquelle elle pourrait se raccrocher. Je crois que... j’ai simplement besoin de quelques minutes.
Quelques minutes. Ou quelques heures. Qui sait ? Elle se sentait faiblir et ne pensait pas que sentir son corps baigner dans l’eau lui rappellerait son naufrage. Elle voulait se convaincre que tout allait bien. Qu'elle avait simplement besoin de se remettre de ses émotions. Entre la fatigue et l'inquiétude, elle se sentait proie à la peur. Elle détestait ce sentiment. Et elle détestait d'être aussi faible et sensible à tout cela. Où était sa confiance ? Elle ne pensait pas même au fait qu’elle touchait actuellement au corps de Thylesandr et qu’elle pourrait en profiter pour observer de près ses écailles ou encore ses branchies. Elle avait l’esprit totalement ailleurs. Ne pas mourir était sa priorité première. Ne pas paniquer la deuxième. Elle allongea le bras avec la ferme intention de s’agripper à un rocher à proximité. Et prendre le temps de calmer son cœur affolé.