Nero apprécia les remerciements qu'il reçut. C'était rare qu'on lui en fasse, ces dernières années, vue ses difficultés sociales. Ses joues étaient encore à vif, comme si l'air marin lui-même lui pinçait le visage. La douleur qui gonflait à droite comme à gauche, l'agaça. Après toutes ces années, on aurait pu croire qu'il maîtrisait, mais aucunement. Et lorsque que le Triton se montra curieux à l'égard de ses cicatrices, il ne sut se contrôler.
"Ne me parle jamais de mes cicatrices !"
Le ton était sec, impitoyable. On lisait rage et chagrin dans ses yeux. Emilia s'envola à l'autre bout du bateau suite à tant de mouvements et cris brusques. Nero lâcha un cri, qu'il étouffa immédiatement. Un fil venait de sauter. Il retint une larme, fermant ses paupières aussi fort qu'il le pouvait. Les doigts de son autre main se crispèrent sur le bois du bateau. Après quelques secondes, aussi interminables que déplaisantes, il reprit d'une voix plus froide, plus calme, et les yeux ouverts.
"Je suis désolé. Je m'excuse auprès de toi de m'être ainsi emporté. Je ne voulais pas élever la voix. J'ai horreur de parler de ça."
Il finit par desserrer ses mains. Un peu de sang mêlé de salive barbouillait les contours de sa bouche et sa paume, tandis qu'un fil noir pendait. Repensait à cette période de sa vie, à ce qu'il a perdu et ce qu'il a dû se résoudre à faire. Rien ne méritait d'être raconté. Avant que le soleil ne se couche, il sortirait le seul miroir de sa maison, caché dans un tiroir, son fil, et un alcool frelaté. La perspective était venue d'elle-même, ce n'était pas sa première fois. Il craquait tellement ses fils, qu'il devait les remettre en place presque toutes les semaines. Et sur cette île, il n'avait croisé personne capable de le faire à sa place, donc il dû s'entraîner.
"Mais cela ne change rien à notre accord, Thylesandr. Tu auras du pain frais et savoureux demain." Ses lèvres remuaient à peine, et il ne se souciait clairement plus, malgré la proximité du Triton, qu'il ne l'entraîne par le fond et décida de le noyer. Sans parler de confiance, il ne se sentait pas en danger.
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Sam 9 Fév - 12:59
Évidemment, Thylesandr eut un brusque mouvement de recul au cri de Nero - mais celui-ci semblait bien trop préoccupé par sa douleur pour représenter une réelle menace. Le triton, se croyant alors en position de force, se résolut à ne pas fuir sur-le-champ, fixant de ses yeux pâles la figure de l'homme. Le pauvre semblait déchiré de douleur mais, son visage masqué par les mains qui s'y crispaient, Thylesandr ne pouvait pas voir où était le problème. Cependant, il n'avait aucun mal à le deviner.
- Ce n'est rien. J'ai sans doute été indélicat, fit-il en retenant à peine une grimace de dégoût et d'exaspération. A tous les coups, l'Invictisien s'était lui-même occupé de ses cicatrices. Par orgueil peut-être, comme nombre de patients... Et ceux-là étaient bien les pires : ils bousillaient leur peau jusqu'à ne plus pouvoir le supporter - et au final, qui devait réparer les pots cassés ?
- Sais-tu faire de l'huile de poisson ? C'est commun ici, mais peut-être pas d'où tu viens. Demande aux villageois. Essaie d'en avaler tous les jours; ça aidera, à long terme. Du moins était-ce la croyance populaire : les pêcheurs forçaient leurs enfants à gober l'infâme substance quotidiennement afin de les rendre plus forts; et les vieillards continuaient d'en prendre en affirmant que ça soulageait leurs rhumatismes. Peut-être ce bon vieux remède ne serait pas assez puissant pour la gravité de la douleur de Nero, mais c'était sans doute mieux que rien.
Thylesandr, pas particulièrement altruiste, ne tenait pas forcément à aider son prochain - mais son esprit s'activait déjà malgré lui, se remémorant ses années de médecine. Les antidouleurs efficaces étaient difficiles à trouver, mais... Il savait qu'à Ba'alat, le pavot poussait en abondance - et que les natifs de cette île savaient le transformer en un puissant anesthésiant. De l'opium. Mais le remède n'avait pas que des points positifs, et Thylesandr ne savait pas trop ce qu'il pensait de la dépendance qu'il infligeait. De toute façon, il n'en avait pas sous la main - alors inutile de planter cette idée saugrenue dans l'esprit de Nero. Il y avait des solutions bien plus simples.
- Certains Élus savent faire des miracles. Tu pourrais aller les voir.
Il pensait notamment à la noble dame Halisthertes, dont la bonté n'était ignorée de personne à Kalispera. Et même si Nero n'avait pas envie d'aborder le sujet, Thylesandr n'était pas encore prêt à lâcher le morceau.
Thylesandr Psári
Nero Primus
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Sam 9 Fév - 13:43
Il ne lâche pas...
Thylesandr se montra moins curieux que d'autres, et même si ce qu'il disait était juste, cela tourmentait Nero. On ne pouvait décemment pas demander à deux espèces ou cultures d'avoir les mêmes bases de communication ou mœurs. Il resta là, silencieux, en attendant que le Triton ait fini. L'idée de laisser quelqu'un examiner et toucher son visage le terrifiait. Les gens de Kairos aimaient tant les rumeurs, si peu habitués aux cicatrices des batailles. Ils terrassaient leurs ennemis par des mots et de la bienséance, par de l'application et des jeux. Pas de larmes, pas de sang. L'être marin ne voulait certainement qu'aider, ou à défaut, montrer qu'il pouvait être d'autant plus bénéfique pour Nero de garder le contact. Avant de lui répondre, Nero voulut cracher le goût de sang qui maculé son palais. Désireux de rendre le bateau propre à celui qui lui prêta aimablement, il ne pouvait pas non plus cracher dans l'océan face au Triton. Il pourrait le voir comme une insulte. Il se résigna à avaler, et à faire avec.
"Je me renseignerais. Je n'ai pas été très attentif aux médecines depuis que ça m'ait arrivé. Beaucoup de choses se sont passés."
Cet individu en savait plus long sur lui que Nero le pensait. Il savait qu'il cultivait, qu'il n'était pas d'ici et sûrement d'autres choses. Hâtif de changer le sujet de la conversation qui lui déplaisait tant, et sachant que s'il ne recentrer pas l'attention du Triton ailleurs, celui-ci allait continuer d'en parler, Nero pensa à lui poser la question. Il essuya sa bouche sur l'épaule de sa toge, et reprit, en fixant les yeux son auditeur.
"Comment et pourquoi me connais-tu ainsi ? C'est notre première rencontre, et j'ai déjà l'impression que tu sais bien plus de choses que ma seule apparence pourrais t'apprendre, Thylesandr."
Qu'il soit avec un être dont on lui avait vanté le présent de noyade qu'il offrait aux gens était une chose. Mais parlait avec le Triton n'effrayait pas Nero. Mais ignorait comment on pouvait autant en savoir sur lui lors d'une rencontre fortuite... Cela commençait à titiller, voire stressé le balafré. L'être marin serait de mèche avec le propriétaire du bateau ? Pour organiser cette entrevue ? A quoi bon ?
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Sam 9 Fév - 14:11
Si Thylesandr était souvent têtu et buté, il n'y avait pas meilleur moyen de s'en défaire qu'en détournant son attention. S'il parlait trop d'un sujet sensible, il suffisait de le faire parler d'autre chose - tant qu'on le poussait à parler et non à se taire. Nero avait donc trouvé la parade parfaite, et le triton d'y plonger tête la première.
- Il m'arrive de faire le tour de l'île jusqu'à trouver de quoi briser mon ennui, expliqua Thylesandr en haussant à nouveau les épaules. Il était rare que les rumeurs des petits villages côtiers soient particulièrement intéressantes - mais parfois, c'était justement là que se cachaient les anecdotes les plus croustillantes. Comme l'histoire du premier Élu Kairossi que personne n'avait cru, dans son hameau...
- Tu es presque une célébrité, dans ton village. Je n'étais pas arrivé depuis cinq minutes que déjà, j'entendais les enfants sur la plage se conter tes légendes. Il sourit, amusé du souvenir des petits d'homme essayant de se faire peur sur le dos du Recousu. Je ne les ai pas crus, au début. Je pensais que leurs histoires n'étaient qu'inventions puériles. Mais quand ils ont parlé des plantations, j'ai décidé que j'allais rester dans les parages. Il est rare que quelque chose de nouveau vienne se perdre hors de la capitale.
Nero n'avait pas l'air de se rendre compte de la singularité qu'il représentait - c'était l'événement du siècle, pour un village aussi isolé ! On commençait presque à se lasser des Élus - un étranger tout rapiécé, c'était nettement plus intéressant.
Thylesandr Psári
Nero Primus
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Sam 9 Fév - 14:35
Sa réponse aurait presque pu amèrement faire sourire le recousu, mais son état l'en empêcha avant même que l'envie ne le saisisse. Briser l'ennui. Oui, pour beaucoup il apparaissait comme une distraction. Surtout au sein de son village. Les gens cessaient de converser à son approche, ils détournaient le regard. Certains le saluaient, mais ce n'était jamais naturel. Bien souvent, on aurait pu croire que ceux qui le firent éprouver leur courage en venant l'accoster. Au fond, Nero savait bien qu'ils n'étaient pas mal intentionnés, et malgré leurs réticences, ils lui laissèrent une maisonnée abandonnée et l'aidèrent à la retaper avant l'hiver. Ils avaient été curieux, fatigants et impolis à bien des égards, mais ils n'en restaient pas moins des gens biens. Et cela suffisait à Nero pour étouffer dans l’œuf toutes idées d'être agressif avec eux, même lorsque la douleur ou la solitude le narguait.
"Racontes-moi, Thylesandr. Moi aussi, je suis curieux de mes propres légendes. Qu'ont dit ses enfants sur moi ?
Ses lèvres remuèrent à peine, pour compenser les fils qui s'étaient fragilisés. Sa voix lente et grave venait du fond de sa gorge. Les gens du village qui racontaient des légendes sur lui, oui. Ils en avaient entendus parler. Même pas cinq minutes et un habitant de la mer savait déjà qui il était grâce aux enfants. En cinq minutes, il prit décision de rester jusqu'à en apprendre plus sur un balafré, ou jusqu'à se lasser de l'attente. La mer ne doit pas receler tant de secrets que cela pour qu'un individu comme moi soit si attractif.
Mais Thylesandr ne semblait pas un instant animé de mauvaises intentions, et Nero ne tenait rigueur à personne. Ni aux curieux, ni aux racontars. Pour cette fois-ci, c'était lui voulut en savoir plus. Peut-être qu'avec ce qu'il apprendrait là, il pourrait en jouer au village pour s'amuser les jours calmes. D'ailleurs, Nero se redressa un peu pour mieux regarder son interlocuteur. Il s'assit en face, collant son dos au bois de la barque. Emilia se rapprocha de lui en sautillant tout du long. Le fait de savoir cela, avait presque fait s'envoler la douleur, aussi subitement qu'elle était venue. L'étrange annonce du Triton avait tant surprit Nero qu'il en venait à focaliser ses pensées sur leur conversation plutôt que sur ses chairs meurtries.
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Sam 9 Fév - 21:20
- N'es-tu donc pas au courant de tes propres exploits ? fit Thylesandr d'un ton amusé. Les humains aimaient tant transmettre des rumeurs que, bien souvent, on en arrivait à apprendre de nouvelles choses sur soi-même. Le triton l'avait appris à ses dépens lors de ses études à Kalispera - les autres étudiants avaient longtemps lancé maintes hypothèses sur ses absences à répétition, et lui avaient inventé toute une double-vie.
- Ne sais-tu donc pas que tu as combattu une hydre gigantesque sur le bateau qui t'a amené ici ? C'était un monstre de vingt mètres de haut, et elle avait au moins huit têtes. C'est en lui en tranchant une qu'elle t'a lacéré le visage avec ses horribles dents pointues. Thylesandr animait son conte des mêmes gestes que les enfants avaient utilisés - il leva les bras pour illustrer le monstre marin, agita huit doigts pour représenter les nombreuses têtes de serpent, et transforma ses mains en mâchoires aux crocs acérés à l'évocation de la terrible dentition.
- Mais ça, c'est sans parler de l'oiseau de malheur qui te suit partout ! C'est un messager de la mort; et il a été envoyé par de viles déités pour te surveiller. 'Pourquoi te surveiller ?' me demanderas-tu, continua le triton en se prenant un peu trop au jeu de la narration et en ponctuant son récit des intonations adéquates. Eh bien, pour que tu respectes le sombre pacte que tu as conclu avec eux !
Les enfants avaient décidément beaucoup, mais alors beaucoup, d'imagination.
Thylesandr Psári
Nero Primus
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Dim 10 Fév - 0:06
En posant la question, le recousu s'attendait bien à une réponse étrange, sur les rumeurs qui circulaient à son propos. Il avait déjà entendu quelques mots échangés dans son dos à l'époque d'Invictis. On lui prêtait parfois des hauts faits guerriers, d'autres des actes de baladins. Le pire fut la soirée où des ivrognes s'étaient fait le pari de deviner avant de demander à Nero. Sale époque. Quitter Invictis fut sûrement l'un des meilleurs choix de sa vie. Et Thylesandr commença à narrer. Son ton semblait déjà malicieux sur l'épopée qu'il risquait d'entendre.
Ses yeux s'écarquillèrent et sa bouche s'agrandit subtilement. Une hydre ? Il aurait vaincu une hydre en venant, juste comme ça ? Il claqua ses mains sur son visage, s'empêchant de sourire bêtement à l'entente d'un récit aussi grotesque. Les enfants et leur imagination délurée... Un rire s'échappa de la gorge de Nero, faible mais sincère. Thylesandr avait un certain talent pour singer la candeur des marmots, et cela fit du bien au défiguré. Son rire redoubla en entendant les ragots sur Emilia. Bien qu'il tirait sur ses fils et que la douleur lui rongeait la peau, il n'en fut pas si agacé que ça. Il en restait joyeux. C'était une bonne souffrance, pour une fois.
Calmant peu à peu son rire et son visage mutilé, il reprit. Les fils s'étaient détendus, et ne collaient qu'à peine ses joues. L'espace qui séparait le haut du bas était visible, laissant apercevoir, même quand il fermait ses lèvres, l'intérieur de son visage. Et ces mêmes lèvres exprimèrent un sourire ravi.
"Les sales gosses, seulement huit têtes ? Il devait bien en avoir 10 ! Des yeux qui lançaient des éclairs, et une bave empoisonnée ! Sans l'aide des Dieux obscurs, je n'aurais jamais réussi !"Nero fit un signe de tête à son oiseau préféré."Encore merci pour votre précieuse aide !"
L'oiseau n'eut pas plus de réaction qu'auparavant, et Nero regarda de nouveau Thylesandr. Il faudrait vraiment qu'il en joue sur le retour avec les enfants à proximité, pour s'amuser. Un dernier rire ponctué d'un soupir satisfait s'échappa de la bouche du balafré. Il pencha la tête en arrière, fixant le ciel, regardant le ciel. Ses pensées se chamboulèrent un peu, mais il comprit bien une chose en cet instant, qu'il partagea avec le Triton.
"J'ai bien fait de venir m'installer ici. Je crois bien."
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 10 Fév - 0:32
Thylesandr se mit à rire lui aussi, alors que Nero se prenait au jeu. Il était si convaincant qu'un instant, le triton s'attendit à ce que l'oiseau lui réponde d'une voix d'outre-tombe - mais la corneille garda le silence. Ce qui, d'une certaine façon, signifiait qu'elle ne démentait pas non plus... Les yeux rieurs et l'air espiègle, Thylesandr se prit à l'imaginer changeling - après tout, lui-même était bien capable de se changer en homme, alors... que pouvait bien cacher ce plumage si noir et cet air innocent ?
Il se calma en même temps que son compère, dont il surveilla les paroles avec bienveillance. Nero avait presque l'air reconnaissant d'être là. Le pauvre donnait l'impression d'avoir vécu et subi bien plus de souffrances qu'il n'était permis - et pas que des douleurs physiques. Le triton pinça les lèvres. Il avait vécu longtemps, et savait de quelles horreurs la vie était capable - même s'il avait réussi à s'en préserver. Mais pour cela, il avait décidé de vivre caché, là où la méchanceté des Hommes et des hydres ne pouvait l'atteindre.
- Kairos n'est pas si mal, fit-il calmement, comme pour signifier son accord. Même si mon point de vue n'est pas très pertinent, car je ne l'ai jamais quittée, finit-il tout de même par admettre en riant légèrement. Il n'avait rien à quoi comparer son île natale, mais il savait qu'il n'avait pas à s'en plaindre.
Son regard se posa sur les points de suture de Nero, qui s'étaient détendus. Une véritable vision d'horreur : les chairs étaient à peine maintenues, et l'intérieur était visible. On présentait souvent les blessures aussi graves aux étudiants en médecine à travers les dessins de leurs professeurs - et beaucoup n'en voyaient jamais en vrai. Thylesandr se considérait chanceux d'avoir déjà été rompu à l'exercice, car ces affreuses plaies étaient celles qui lui apprenaient le plus de choses sur le corps humain. Il ne les craignait donc pas, mais n'appréciait pas spécialement leur vue non plus.
- Depuis combien de temps es-tu installé ici, justement ? demanda sagement le triton. Une semaine, un mois, un an ? Cette information-là, il n'avait pas réussi à la glaner de la bouche des enfants. As-tu eu le temps d'en apprendre sur mon peuple ? Il était assez curieux, à vrai dire, et se demandait quel avis aurait sur lui un étranger qui n'avait pas été élevé à coup de "ne va pas dans l'eau, ou les sirènes te noieront !".
Thylesandr Psári
Nero Primus
WE ARE THE GODS AMONGST MEN
Allégeance : Aucune
Dim 10 Fév - 1:07
"Depuis six mois, environ. Je n'ai même pas eu le temps d'observer toutes les saisons ici, et de me faire une idée sur la meilleure façon de cultiver mes champs."Les fils devenus plus lâches, son débit de parole s'accéléra, pour quasiment atteindre celui d'une conversation normale. Sa tête se pencha pour regarder le Triton à nouveau."J'ai beaucoup de choses à faire, mais j'ai le temps. Des années, des décennies. Je veux fertiliser plus de champs, et enseigner mon métier. Découvrir de nouvelles plantes, faire des expériences. L'idéal serait un alcool de meilleure qualité ! Avec ça, j'apporterais bonheur et malheur au tout venant !"Ponctua-t-il d'un léger rire, accompagné par celui d'une mouette."Pour ce qui est de ton peuple... De là d'où je viens, nous coopérons entre 4 espèces. C'est la loi du plus fort, et rien n'égale la force des Draconides ou la fureur des Cerbères. Les malheureuses Harpies sont esclaves, et les Humains doivent sans cesse prouver leur valeur. Ne jamais s'arrêter, et défendre son honneur personnel comme celui de la patrie avant tout. Personne n'est malfaisant de par sa naissance, et ne devrait être jugé ainsi. Alors tout ce qui est mauvais, sur tout un peuple, que l'on a bien pu me raconter à mon arrivée, je n'en ai eu cure. Et aujourd'hui, je constate que j'ai fais le bon choix. Car au lieu de te craindre ou de t'attaquer, j'ai discuté avec toi, et j'ai pu ainsi profiter d'un agréable moment."
Nero ferma les yeux un instant, et vint se masser la nuque. Il souffla paisiblement, avant de reprendre le cours de ses pensées. L'agriculture, tout d'abord. Kairos devait bien avoir une flore différente de celle d'Invictis. Autant chercher à trouver ce qui est comestible et cultivable au plus vite, car cela prendrait beaucoup de temps avant de réussir à les exploiter correctement. Nero n'était pas la personne la plus patiente qui soit en général, mais pour ce qui concernait son métier, il dénotait d'une certaine résilience, pour ne pas dire du calme le plus absolu.
"Kairos n'est pas mal dis-tu, mais n'as-tu jamais eu envie d'en savoir plus sur ses terres ? Toi qui est coincé en mer, ne désires-tu pas avoir plus de choses à découvrir, et à satisfaire ta curiosité apparente ? Ou la mer offre-t-elle tant de secrets que ma vie entière serait insuffisante à les découvrir tous ?"
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 10 Fév - 1:40
Thylesandr écouta avec attention, souriant à l'évocation des rêves d'alcool de Nero. Il parlait de ses objectifs et de ses aspirations futures; le jeune homme pensait à se construire tout un avenir, et notre triton de se mettre inconsciemment à hocher la tête en signe d'approbation. Il aimait ça : les projets. Si Nero était capable de tant se projeter dans le futur, ça signifiait sans doute qu'il n'en avait pas fini avec la vie. Et ce, malgré tout ce qu'elle lui avait fait subir. Et si le mental allait, alors tout suivrait.
Il fronça le nez quand il entendit la mention de l'esclavagisme dont souffraient les harpies - il aurait pu les considérer comme des sœurs, car il ne les trouvait pas si différentes de son propre peuple. Lui avait encore de la chance - il soupçonnait que son peuple avait partiellement été protégé de l'humanité par la fascination que celle-ci nourrissait pour les nymphes; et donc, d'une certaine manière, pour les créatures mythologiques en général. Bien sûr, tout cela relevait de débats sociologiques - et Thylesandr n'était pas certain de ce qu'il supposait, mais se savait assez érudit pour avoir confiance en ses idées et arguments.
Encore une fois, il eut un sourire pincé alors que Nero assurait qu'on ne naissait pas malfaisant, et qu'un peuple entier ne pouvait donc pas être jugé aussi facilement. Certes, mais les choses n'étaient pas aussi simples... Il considérait que le bien et le mal n'étaient que des concepts purement humains avec lesquels il avait d'ailleurs un peu de mal. L'hydre est mauvaise car elle tue l'homme pour le dévorer, mais l'homme est bon car il tue le cerf pour se nourrir. C'était... assez hypocrite. On n'enseignait pas aux jeunes tritons qu'il était mauvais de noyer des matelots, tout comme on n'enseignait pas aux enfants humains qu'il était mauvais de chasser des lapins.
Sur le coup, Thylesandr pensa que Nero était bien naïf. Mais le triton ne l'était pas - et il se prit à penser que, si Nero avait connu la valeur d'une écaille de sirène, il l'aurait attaqué. Les Kairossi les plus superstitieux étaient prêts à payer très cher une seule écaille, et Nero aurait pu si facilement s'enrichir... Personne ne naissait mauvais. Mais naissait-on systématiquement bon pour autant ? Son regard s'assombrit alors qu'il se rendait compte que ce moment d'insouciance, de politesses, de relation courtoise - et également leur marché signé plus tôt, risquaient de ne pas tenir très longtemps. Les humains étaient prompts à retourner leur veste, et il supposait que ce serait également le cas de Nero, quand il en saurait plus sur le peuple marin.
- Ha ha ha ! se mit à rire le triton aux dernières questions de l'homme, oubliant tout de ses sombres présages. Ta vie serait trop courte, c'est certain ! fit-il sans hésitation, sachant à quel point les humains mouraient jeunes. La mienne, par contre... m'offre un peu plus de temps pour découvrir les choses. Mais j'aime l'Eau, et je ne souhaite pas la quitter. Cependant, détrompe-toi vite : je ne suis nullement coincé. Je peux me rendre sur la terre ferme si je le désire, car il m'est donné de changer mes nageoires en jambes humaines, et nombre des miens ont décidé de mener cette vie. Personnellement, je ne pense pas que j'aimerais ça à long terme - mais, entre nous, sache que je me suis longtemps mêlé aux Hommes. Il est vrai que les fleuves qui courent à l'intérieur des terres m'intriguent, mais je ne suis pas très à l'aise quand je m'éloigne trop de l'océan.
Thylesandr Psári
Nero Primus
WE ARE THE GODS AMONGST MEN
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Dim 10 Fév - 11:49
Nero fut surpris d'apprendre que les Tritons pouvaient sortir de l'eau. Changer cette grande queue de poisson qu'il avait entraperçu quand il était parti chercher les cabillauds, changer cela en deux jambes humaines ? Cela lui semblait vraiment surprenant. Mais pas plus que les Cerbères qui se transformaient en chien, ou lui-même, qui il y a peu, avait entendu des murmures dans ses songes. Ce moment où l'on nous dit quelque chose d'insensé, d'incroyable, et que l'on accepte cela comme un fait... Le recousu eut un petit rire intérieur. Mais surtout, cela amenait d'autres questions, et possibilités !
"Si ma vie est trop courte pour l'océan, je me consacrerais à la terre. Et cela me donnera des choses à te raconter. Mes cultures regorgent elles-aussi de secrets bien cachés !"Nero marqua une petite pause, on croyait entendre le vent sifflait entre ses joues."Une idée me vient, Thylesandr. Mais si au lieu de te proposer de venir demain te donner ton pain, tu venais à ma cuisine me regarder travailler, comme tu es capable de marcher sur la terre ferme."
Le défiguré sentait la soif de connaissance de Thylesandr, et il n'avait rien à perdre à lui montré cela. Ce n'était vraiment qu'une proposition soumise au bon gré du Triton. Quitte à commencer sur de bonnes bases, cela n'avait rien de bizarre que de lui énoncé l'idée. Surtout en voyant le poisson qu'il pouvait ramener aussi aisément, les pêcheurs de Kairos avaient de quoi rougir ! Ne rester plus qu'à savoir si le Triton ferait suffisamment confiance à un inconnu. Les racontars ne manquaient jamais l'occasion de leur rajouter quelques vilénies sur le dos, et Nero comprendrait s'il ne se sentait pas à l'aise à cette idée.
Impossible de dire si la majorité des Kairosis savaient ou non pour les jambes des Tritons. Il essayerait de se renseigner à ce sujet. C'était quand même incroyable de raconter tant de choses sur un peuple et d'oublier un tel élément factuel. Beaucoup ont choisis la vie terrestre... Il doit bien y avoir des personnes qui le savent, des personnes de confiance, des sages ou des curieux.
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Dim 10 Fév - 20:45
Thylesandr pencha la tête, pensif. La proposition de Nero ne semblait receler d'aucune malice - s'agissait-il d'une ruse ? D'un traquenard ? Possible, mais non plausible : l'humain semblait si peu en connaître sur son peuple qu'il devait ignorer comment tirer profit d'une telle capture. Et de toute façon, le triton n'était guère dénué de solutions - il avait beau ne pas se reposer sur sa force et se savoir inapte au combat, il avait d'autres cordes à son arc. Comment aurait-il survécu près d'un siècle, sinon ?
- Hm... Ce n'est pas une mauvaise idée, admit-il avec hésitation. Il posa les yeux sur le jeune homme, tentant de décrypter son expression. Peut-être avait-il juste envie de compagnie, vu la façon dont les villageois l'aliénaient ? Lui-même devait admettre que ses relations sociales étaient au niveau le plus bas - il avait commencé à se lasser de ses jeunes frères et sœurs, et allait jouer avec eux moins fréquemment qu'autrefois. Il était également moins effarouché des humains, et... une entrevue sur la terre ferme ne lui ferait pas de mal, au fond. Il les avait tant fréquentés, à Kalispera...
- Très bien. Je viendrai. Enfin, si tu n'as pas peur de faire naître de nouvelles rumeurs sur ta personne, bien sûr, ajouta-t-il d'un ton espiègle. Il supposait que les villageois ne devaient pas manquer les moindres faits et gestes de leur nouvelle attraction locale - que diraient-ils en le voyant revenir chez lui, accompagné d'un homme inconnu à la longue chevelure de soie et à la beauté transcendante ? Bon, d'accord, il exagérait peut-être un peu pour la beauté.
- Il faudra aussi que tu m'apportes des vêtements, termina-t-il avec un sourire en coin ô combien puéril.
Thylesandr Psári
Nero Primus
WE ARE THE GODS AMONGST MEN
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Dim 10 Fév - 22:20
Nero fut content de la réponse de Thylesandr. C'était une pensée agréable, de se dire qu'il ne mangerait pas seul. Avoir du monde à sa table, cuisiner avec quelqu'un et ne pas parler qu'à Emilia. Il y avait quelque chose d'important. Il faudrait juste qu'il se montre courageux ce soir face à son unique miroir. Si seulement on pouvait lui sortir une bonne bouteille d'Invictis... Du bon jus de raison fermenté. Là, on aime le fruit travaillé ! Le Triton se permit même une petite blague sur les ragots qui circulaient sur lui. Le balafré y répondit avec le sourire.
"Tu plaisantes j'espère ? Je compte bien gonfler ma légende. Nero le Héros ! Ça coule de source, enfin !"
Le recousu passa une main sur son visage, tâtonnant ses joues sanguinolentes. Il connaissait bien ce genre d'ouverture. Oui. Il allait devoir tout recoudre. Les deux joues. Heureusement, ses chairs étaient devenues moins sensibles avec les années, et sa résilience restait à toute épreuve. Il n'avait encore jamais croisé un défi insurmontable. Qu'importe la solution. Et là, il savait déjà quoi faire. Reposant son bras sur le bois du bateau, il continua.
"Je t'apporterais des vêtements. Ramener un inconnu passe encore, mais un nudiste... Là, oui, ça va jaser dans les chaumières. Les gens seraient déçus, je suis un bon parti après tout."
Il rit encore une fois, content de son autodérision. Il ignorait si Thylesandr était du genre à apprécier l'humour noir, mais si tel était le cas, il devrait trouver son quota chez Nero. Emilia fit alors sa princesse, et vint se poser sur le genou plié de son ami, cachant la ligne de vue entre les deux interlocuteurs. Nero frotta son autre jambe pour qu'elle change de place, ce qu'elle se décida malgré tout à faire après quelques secondes. Il passa sa main délicatement dans le plumage de l'animal, la caressant sans forcer. Espèce de mal élevée.
Nero Primus
Thylesandr Psári
THERE'S MONSTERS IN ALL OF US
Lun 11 Fév - 12:49
Thylesandr fit écho au rire de Nero, trouvant également cela très drôle. Peut-être était-ce dû à son côté animal, mais il ne possédait pas le même rapport à la nudité que la majorité des humains : quand eux s'en embarrassaient, lui était plutôt fier de son corps. Il ne comprenait pas d'où venait la honte des Hommes et pourquoi ils craignaient tant de se révéler sous leur plus simple appareil - mais soit, il n'avait pas besoin de comprendre, il avait juste accepté ce fait. Il le respectait sans problème et avait d'ailleurs pris l'habitude de veiller à être vêtu lors de ses transformations, tout comme il s'y préparait en ce moment.
- Dans ce cas, c'est parfait ! fit-il en riant encore. Tu dois te lever tôt pour commencer à travailler, n'est-ce pas ? Je ne veux pas te retarder; je t'attendrai juste après le lever du soleil. Ce qui était sans doute déjà trop tard, mais Thylesandr ignorait que les boulangers se levaient souvent bien avant l'astre solaire. Et lui-même n'avait aucun moyen de s'éveiller plus tôt que d'habitude, car il ne possédait ni coq ni voisins pour faire du bruit.
- Ne sois pas jaloux, petit oiseau, taquina-t-il la corneille, je te laisse tout à ton maître ! Sur quoi le triton commença à s'éloigner de la barque, faisant onduler ses nageoires juste sous la surface. Au revoir, Nero ! Je compte sur toi pour me trouver des habits qui siéront à mon prestige ! fit-il encore en dernier signe d'adieu espiègle, avant de plonger vers les profondeurs, satisfait et impatient d'être au lendemain. Le lendemain, Thylesandr s'était éveillé, comme prévu, à l'aide des premiers rayons du soleil venus lui chatouiller les paupières. Il s'était trouvé une crevasse sous-marine où camper pour la nuit - juste assez étroite pour qu'il s'y couche, et parfaite pour se reposer en sûreté. Dormir de cette façon, c'était pour lui l'équivalent d'une nuit à la belle étoile - mais, plus aventureux qu'il en avait l'air, ça ne l'avait pas du tout dérangé.
Il prit le temps d'étirer ses membres, de polir ses écailles, d'arranger ses cheveux et de resserrer ses perles d'or avant de se diriger vers les côtes où il avait abandonné le Recousu la veille. Prudent, au cas où un autre humain serait là, il prit le soin de rester caché par l'eau - caché, en tout cas, à des yeux ignorants. Mais si on scrutait la surface à sa recherche, alors sans doute réussirait-on à reconnaître sa subtile silhouette.
Thylesandr Psári
Nero Primus
WE ARE THE GODS AMONGST MEN
Allégeance : Aucune
Lun 11 Fév - 19:36
Nero avait la main sur Emilia, tandis que Thylesandr riait à ses blagues. C'était rassurant de voir qu'il prenait plaisir à son humour au lieu d'avoir un sourire gêné. Le recousu acquiesça, affirmant au Triton qu'il serait bien là. Des ultimes signes d'au revoir, et l'être marin disparut de la surface, et Nero ne pouvait dès lors plus le suivre du regard. Il soupira un peu, en restant là, seul. Il savait ce qu'il devait impérativement faire en rentrant. De fait, il demeura immobile, à l'exception de cajoler son oiseau. Il se mentait à lui-même en se disant J'attends le vent pour revenir. Mais celui-ci ne vint pas. Et avec le soleil déclinant, il fallait bien se résigner à ramer jusqu'à la berge. Elle n'était pas loin et ce n'était qu'un petit effort pour lui, mais cela avancait ce qui devait arriver. Il déploya les rames comme Emilia ses ailes, et revint lentement jusqu'au rivage. Il attacha le navire, et attrapant le matériel de pêche et les cabillauds, il rentra chez lui. Nero comptait rendre au pêcheur ses instruments, mais compte tenu de sa mâchoire, il se retint. Une femme le croisa néanmoins sur le retour, et prit peur. Nero ne lui en tint pas rigueur, et la femme ne resta pas s'excuser.
Une fois chez lui, le défiguré referma la porte dans un long, et profond, soupir. Il s'occupa de ses poissons, les lavant d'abord, et les étala dans un petit plat de terre cuite, avant de les recouvrir entièrement de sel. Il posa un tissu dessus ensuite et les rangea dans un coin éloigné de sa cheminée. Puis, il essuya ses mains avec une certaine lassitude.
Couture:
Nero sortit son matériel de couture, qu'il posa lourdement sur la table. Emilia s'envola dans son perchoir, au-dessus de la table. Le balafré sortit alors le seul miroir de sa maison, dont le coin inférieur droit était ébréché. Il tenait tout seul sur pied, de telle sorte à ce que Nero puisse contempler son reflet. Ses joues supérieures pendaient dans le vide, comme les fils abîmés et déchirés. Ses joues inférieures étaient retroussées. Ses dents étaient visibles, le fond de sa gorge un peu moins. Les lèvres sèches et entre-ouvertes, il se dévisagea longuement, tournant la tête pour regarder tous les dégâts du jour. Les contours de ses cicatrices et de sa bouche étaient recouverts de sang séché. Un liquide jaunâtre filtrait de ci, de là. La peau ne protégeait plus rien depuis bien longtemps.
Nero agrippa deux choses pour commencer ; une amphore à pied, et un couteau. Il commença par vider de grosses lampées, l'alcool s'écoulant de ses joues pour couler sur sa toge claire. Il reposa le contenant, et en observant avec minutie l'être immonde qu'il avait sous les yeux, il commença à retirer les fils doucement. C'était la partie la plus agréable. Celle qui ne consistait qu'à être seulement mal à l'aise. Celle où seuls les nœuds des fils qui passait par les trous de sa peau le gênaient. Il serra les dents en prévision de la suite. Sa bouche, bien qu'il venait de boire, lui paraissait sèche. Le défiguré fini par reposer le couteau qu'il tenait. Plus aucun fils ne tenaient son visage. Ses mains attrapèrent fil et aiguille, déjà passé par le chas. Il déroula plus d'un mètre, et commença à palper son visage de sa main gauche. Il essaya de tenir ses deux joues, inférieurs et supérieurs ensemble, avant d'approcher la pointe de son outil. Il commençait toujours par le fond, au plus loin de ses lèvres.
L'aiguille érafla la peau, à la recherche d'un trou déjà ouvert, et commença à piquer. Ses dents se joignirent avec force, ses orteils se contractaient, et ses doigts s'affairaient. Nero ne pensait qu'à ce qu'il devait faire. Cela lui arrivait tous les mois au moins, il avait l'habitude de se charcuter ainsi. Mais cela n'était pas devenu anodin pour autant. L'aiguille passait à l'intérieur, piquant par trop souvent son palais ou sa langue. Il s'arrêtait quand la douleur le saisissait trop, crachant un peu de sang, et tenant une nouvelle rasade d'alcool comme un produit salvateur, enflammant son visage comme un brasier. Couds ! Et il finit la couture de sa joue gauche. Il lui restait encore la droite. Des larmes esseulées coulèrent sur son visage. Le sang qui suintait de ses cicatrices les rattrapèrent. Il eut une impression de picotement. Il ne saurait dire, avec cette sensation qu'on lui avait arraché, écorché la peau entière de son faciès. Et il me reste la droite.
Cette fin de journée se prolongea, en cris muets, en larmes salées. Avec des piaillements inquiets d'Emilia, avec des mains tremblantes, rendant imprécis chaque autre passage de l'aiguille. Exacerbant chaque frottement du fil. Parfois il cédait quand il le passait, et c'était toute la joue qui retombait subitement, l'obligeant à défaire une partie de son travail, pour faire un nœud. Et recommencer avec d'autant plus de rage. Jusqu'à finir sa triste œuvre, jusqu'à finir son amphore. Il ne se débarbouilla pas, il se retenait de hurler, comme à chaque fois.
Il était bien tôt, et il n'avait rien avalé depuis le midi, mais jetant sa toge salie sur le sol, il enfila en prévision du froid un vêtement noir et chaud, remit une bûche, et partit se coucher.
Quelque peu avant l'aube, Nero s'éveilla. Le plafond fut sa première vision, mais pas sa première sensation. Il évita de se toucher le visage, sachant que cela serait pire. Il mit du temps à accepter de sortir de son lit, ce genre de soin le laisser toujours dans le vague pendant une bonne journée. Mais ce n'était pas comme s'il était incapable de mener sa vie à bien. Il sortit les pieds de son lit de fortune, et se dirigea dans la cuisine. Le recousu jeta un coup d'œil à la fenêtre, observant les pâles lueurs. Un frisson l'agita subitement, et il rangea son matériel restait sur la table. Une bassine et le miroir l'aidèrent à retirer le sang séché qui maculé ses joues creusées. Il rangea sa toge, et remisa tout cela dans un coin de sa chambre, il organiserait le tout proprement plus tard.
Son ventre gargouillait, mais il n'avait pas la force de mâcher. Il attendrait d'être avec Thylesandr pour cela. Ah c'est vrai... Il devait ramener sa nouvelle connaissance aujourd'hui. Nero ouvrit sa fenêtre après les premiers rayons de soleil, et Emilia s'envola bien assez tôt pour chercher sa nourriture. Il se rassit aussitôt, sur son tabouret, s'adossant au mur. La journée serait longue.
Nero rouvrit les yeux. Il s'était assoupi. Son regarda retourna à la fenêtre. Le soleil lui indiqua que son repos fut bref. Il soupira sans souffle, soulagé. Mais il était temps, désormais. Il s'enquit d'une toge propre, et d'un linge qui pourrait sécher le Triton à la sortie de l'eau. Ses pas le dirigèrent alors vers la plage. Il s'arrêta un instant au bord de l'eau, les pieds à quelques mètres des vagues, son regard cherchant Thylesandr. Il venait de le remarquer, mais lui-même portait ses habits noirs qu'il réservait à son intérieur. Tant pis. Il n'était pas à cela prêt. Cela contribuerait peut-être d'une manière ou d'une autre à sa légende auprès des enfants ?